Mon téléphone sonne.
- Allo, bonjour ! Vous êtes bien gérant d’une SS2I ? me demande une voix féminine assurée, dont on ressent immédiatement le poids de l’expérience.
- Euh, non, pas tout à fait en fait, mais oui, je fais essentiellement du conseil, de l’accompagnement au changement et de la sécurité informatique, répondis-je en pensant : tiens, voilà du taf. Finalement, l’ami Google ne m’est pas complètement inutile. En dehors de me pister partout sur le Net, il finit par me servir et m’apporte quelques clients… Super ! Je continue donc de ma plus belle voix : que puis-je faire pour vous ?
- Nous proposons aux entreprises de votre secteur d’activité d’acquérir des vins d’exception qui s’adressent à un public connaisseur, des vins de garde de grande qualité, etc, etc…
A ce moment, je m’interroge : je l’éconduis gentiment ou je continue ? sachant pertinemment que mes moyens ne me permettent pas actuellement d’acheter les noms de rêve qu’elle me cite, même en une seule bouteille… Mais je continue, curieux, voyageant du Gigondas aux Graves, en passant par les Côtes de Beaune… Noêl n’est pas loin, mais encore trop pour qu’il s’agisse d’un cadeau. Après un bon quart d’heure à parler de robe, tanins, terroirs, exposition, cépages et vendanges, j’attends la phrase qui tue : combien pour cet assortiment de 12 bouteilles ? Ce qui m’a achevé n’est pas le prix, au demeurant très raisonnable, mais le reste :
- je vous fais une facture «professionnelle», au nom de votre société…
Alors que le débat fait rage actuellement sur les questions de fraude, de triche, de passe-droit, le procédé me heurte profondément. Evidemment, je ne suis pas né de la dernière pluie, je sais bien comment fonctionne le barnum. Cette manière de faire est parfaitement légale, mais cela s’apparente dans mon esprit à une fraude caractérisée : faire prendre en charge par la boite un certain nombre de «frais» personnels réduit artificiellement son résultat, et augmente les revenus du réel bénéficiaire en toute cachette du fisc. Un gain parfaitement déguisé et invisible. Le salarié, l’assisté, le malade sans aucun sens des responsabilités, ils déclarent tout à l’euro près. Mais ce sont eux qui supportent l’entière charge des difficultés de notre société, y compris en terme d’image : on vilipende le glanage, on fustige les arrêts maladies, mais on ouvre en grand les fenêtres pour l’évasion fiscale. Et c’est pas prêt de changer.
J’ai fini par dévoiler que j’étais auto-entrepreneur, et que cette «possibilité» ne m’était pas permise, ce qui a coupé court la conversation, et la transaction… Dommage, 130 euros pour de telles bouteilles, livrées à domicile, c’était presque cadeau.
Juste en passant, la fraude fiscale, c’est plus de 40 milliards par an. Une pécadille…