Cette ballade que nous propose Blandine Le Callet n’est pas une promenade d’agrément, loin s’en faut, mais plutôt le chemin de vie de Lila, une jeune femme volontaire mais fragile que l’on va voir grandir tout au long du roman.
Il faut dire que cette vie n’est pas anodine, comme ne l’est pas non plus ce monde futuriste (mais proche) dans lequel se déroule l’histoire. Lila raconte, donc. Elle se souvient de sa mère, dont elle a été séparée violement alors qu’elle était très jeune, et du Centre dans lequel elle a ensuite été admise (internée, plutôt), une espèce de pensionnat où les pensionnaires n’avaient pas le droit de sortir.
Toute la vie de Lila tourne autour d’une seule idée, une obsession même : retrouver cette maman qu’on lui a arrachée et également ses souvenirs, puisqu’elle n’arrive pas à se remémorer tout un pan de son enfance, ni pourquoi on a enlevé sa mère et placée dans ce Centre. Lila est une enfant traumatisée. Elle ne supporte au départ pas les contacts physiques, qui la répugnent, ni même la communication avec autrui et longtemps, même quand elle sera « guérie », le fond de son placard où elle va se terrer sera le seul endroit où elle se sente en sécurité.
Elle vit dans un monde où les livres sont interdits, remplacés par des liseuses électroniques, bien pratiques au pouvoir en place pour faire figurer dans les textes sa propagande ou effectuer des coupes sombres sur les passages non conformes à l’ère du temps. Mais Lila pourra malgré tout avoir le droit de lire. C’est la patience et la douceur, l’opiniâtreté aussi de quelques éducateurs et surtout du directeur du Centre qui l’aideront à sortir d’elle-même, pour être un jour capable de mener une vie normale, à l’extérieur. Elle va ainsi peu à peu s’ouvrir au monde, sortir de sa léthargie psychologique, et enfin utiliser son intelligence supérieure pour parvenir à son but : partir à la recherche de sa mère.
Il y a du suspense dans ce roman, de l’amour aussi, et une tendresse immense que j’ai éprouvée pour cette fille paumée et fragile qui va tout faire pour sortir de ce monde étrange, cette société totalitaire étouffante, oppressante, dans laquelle les hommes sont surveillés sans relâche, même chez eux. Lila voudrait savoir ce qu’il se passe dans « la Zone », ce pays interdit, au-delà des murailles de la ville, cette soi-disant jungle où rodent violence et horreurs diverses mais où on est libre. Elle pense que c’est là-bas que sa mère aurait pu survivre, se cacher. C’est là aussi qu’on peut arriver -peut-être- à vivre si on ne veut pas se laisser dévorer par cette société qui fait des humains des machines (et même des animaux) et dirige leurs faits et gestes et leurs pensées, leur vie sociale comme leur vie intime.
C’est donc un chemin de courage que cette ballade de Lila. Un beau chemin de vie, grave, mais où souffle malgré tout le vent de l’espoir d’une vie meilleure, d’un autre monde, le rêve de relations normales avec les gens, d’amitié et d’amour. Une ballade que je ne peux que vous conseiller de lire, car elle est magnifique.
"Viens donc voir, fillette ! Je me suis approchée.
- On appelle ça des livres. Tu vas voir, tu n’en reviendras pas. J’ai levé un sourcil sceptique. Il avait beau dire, ça ne payait pas de mine. Mais lui semblait très excité. Il s’est emparé d’un volume, puis il l’a soulevé à hauteur de mes yeux.
- Regarde bien Lila. J’ai soudain vu le livre s’ouvrir entre ses mains, éclater en feuillets, minces, souples et mobiles. C’était comme une fleur brutalement éclose, un oiseau qui déploie ses ailes.
- Ça t’en bouche une coin, n’est-ce pas ? Je n’ai pas répondu. Je regardais ses gros doigts qui feuilletaient les pages couvertes de signes noirs et de taches colorées.
- Et bien, tu as perdu ta langue ? _- Comment dites-vous que ça s’appelle ?
- Un livre. C’est ce qu’on avait, avant les grammabooks.
- Et… qu’est ce qu’il y a écrit là-dedans ?
- ça dépend du livre. J’ai ouvert des yeux ronds. Je n’y comprenais rien.
- Laisse moi t’expliquer : tu vois, avec un grammabook, on n’a qu’un écran vierge sur lequel vient s’inscrire le texte de ton choix. Un livre, lui, est composé de pages imprimées. Une fois que le texte est là, on ne peut plus rien changer. Les mots sont incrustés à la surface. Tiens, touche. J’ai posé ma main sur la feuille. J’ai palpé, puis j’ai gratté les lettres, légèrement, de l’index. M. Kauffmann disait vrai : elles étaient comme prises dans la matière.
- ça ne peut pas s’effacer ?
- Non, c’est inamovible. Indélébile. Là réside tout l’intérêt : avec un livre, tu possède le texte. Tu le possèdes vraiment. Il reste avec toi, sans que personne ne puisse la modifier à ton insu. Par les temps qui courent, ce n’est pas un mince avantage, crois-moi, a-t-il ajouté à voix basse. Ex libris veritas, fillette. La vérité sort des livres. Souviens-toi de ça : Ex libris veritas."
Un roman lu par Clara, Sandrine, Sophielit, Keisha, Cachou, Estellecalim, Ma bouquinerie, A propos de livres, Alex, Antigone, Livrogne, Virginie, La Pyrénéenne, Mélo, Aifelle, Brize, Fantasio...
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