NÉCROPOLIS 1209
traduit de l'espagnol (Colombie) par François Gaudry
Se lancer dans du Santiago Gamboa, pour moi, c'est comme se laisser glisser sur une luge du sommet d'une petite colline enneigée: c'est grisant, c'est rapide, ça comporte son lot de dangers que l'on est prêt à traverser, et c'est une grande partie de plaisir pour qui aime les sensations fortes.
Comme toujours avec Gamboa, l'humour est au rendez-vous, ça foisonne dans tous les sens, et en bon latin au sang chaud, ça sexe de partout comme une ode à la vie. Le traitement de ce sujet précis peut paraître un peu too much par moment, j'ai personnellement frôlé l'overdose, mais c'est très souvent hilarant, avec ce côté absurde de situation et exagération à outrance des scènes.
Ce que j'aime chez Gamboa, en dehors de son humour déluré et jubilatoire, c'est que, au premier abord, ses histoires semblent juste légères, divertissantes, un brin absurdes mais pétillantes, de l'ordre presque de l'anecdotique, mais elles sont en réalité prétexte à des réflexions plus profondes. J'aime quand il plaisante entre deux observations sérieuses, et qu'il devient sérieux entre deux éclats de rires, de façon très fluide, je trouve ça assez fort.
Les meurtrissures mentales des hommes sont explorées à vif ici, le règne de la drogue, ce faux échappatoire à la misère intérieure, à la misère tout court, la folie des hommes qui s'étire de la Colombie à Jérusalem, pas le même combat mais la même violence et les mêmes blessures de l'âme, inguérissables, tout cela est passé au crible à la mine de rien, avec, en passant, et ça j'adore aussi chez Gamboa, une incursion poussée dans le monde de la littérature à travers débats, références littéraires et mises en scène de personnages hauts en couleur.
La dimension internationale de ses récits est aussi un aspect que j'aime retrouver dans ses oeuvres et elle ne fait pas défaut ici. Rassemblant à Jérusalem des personnages d'horizons différents à l'occasion d'un congrès de biographes, Gamboa révèle avec force son immense talent de conteur d'histoires à travers des biographies fictives aux styles très différents.
J'ai particulièrement adoré la voix de José Maturana, "ex-forçat, ex-drogué, ex-pasteur évangélique, éclairé par la littérature" (cf 4è de couv'), quel orateur, quelle performance stylistique dans son récit, quelle preuve de la folie furieuse de Gamboa, qu'est-ce que j'ai ri à la lecture de ces passages, et en même temps, quel récit tragique et touchant, ça m'avait vraiment remuée! Quand la salle applaudit à la fin, on comprend pourquoi, et pour un peu, je me levais aussi de mon siège pour m'écrier au génie!
J'ai moins aimé le récit des joueurs d'échec, je n'y ai pas vu trop d'intérêt, par contre celui de Kaplan, je l'ai trouvé extra également (note à Keisha: et je n'ai même pas tilté pour Dumas!
). Un peu moins d'enthousiasme aussi pour le reste des biographies, je m'attendais à quelque chose d'original avec l'actrice porno mais j'ai trouvé ça finalement assez classique - enfin, un peu fou quand même, avec cette vision loufoque de l'art, on ne sait plus s'il se moque ou s'il parle sérieusement, des fois il part tellement en vrille...Quant à la trame principale, autour de l'écrivain narrateur et Maturana, à Jérusalem, je l'ai trouvé un peu tirée par les cheveux, mais quel réalisme impressionnant dans la description de ce contexte de guerre!
Ce n'est finalement pas le Gamboa que je préfère, même si le début était follement prometteur en ce sens. J'ai une véritable affection pour Les Captifs du Lys Blanc et Le Syndrome d'Ulysse, mais celui-ci se défend très bien. C'est, pour moi, un très très bon Gamboa, peut-être inégal par moment, et plus ambitieux que les autres dans la richesse des récits et dans les réflexions qu'on pourrait en tirer.
Egalement commenté par Keisha, Yspaddaden,