Il est parfois des correspondances magiques qui s’instaurent, en dépit de tout ce qu’on pouvait attendre. Face aux Nymphéas bleus de Monet, que peut faire un artiste numérique adepte de la programmation en C++, né à l’extrême nord de l’Ecosse, et vivant en Finlande ? Que peut savoir cet homme venu du Nord de notre lumière, de nos après-midis de printemps où le soleil devient une caresse, de nos reflets aquatiques, de nos harmonies colorées ?
L’Orangerie, depuis que le musée a rouvert,
propose une expérience enveloppante des Nymphéas. Au Musée d’Orsay (jusqu’au 18 Mai), c’est plutôt une immersion que vous expérimenterez. Une salle dans la pénombre est un vestibule aux Nymphéas. Sur ses murs, son plancher et son plafond sont projetées des séries de mots lumineux : noms de plantes, noms de lieux (ciel, maison), noms d’émotions (amour, enfant). Les mots muticolores émergent, bougent, explosent, grouillent. Il y a des explosions soudaines, des feux d’artifice, et aussi de lents déplacements, comme des pions de go qu’on déplacerait.Il faut rester longtemps, laisser les mots couler sur soi, se baigner de lumière, parfois aussi se réfugier
dans une oasis plus sombre, temporairement abritée de ce bombardement. Il faut laisser ses rétines s’enivrer. Ensuite, s’en arracher, entrer dans la lumière, dans la salle suivante, claire et calme, et plonger dans le tableau de Monet : le voit-on différemment ?Les Nymphéas (et ceux-ci ont les bords inachevés) avaient aboli le cadre; Charles Sandison abolit l’écran, ôte toute planéité à l’image, crée un volume virtuel dont le spectateur ne peut pas s’abstraire.
Photo 1 (Manet) © Patrice Schmidt, courtoisie Musée d’Orsay. Photo 2 © Charles Sandison. Photo 3 de l’auteur.