Instrument qui se meut lui-même, moyen qui s'invente ses fins, l'oeil est ce qui a été ému par un certain impact du monde et le restitue au visible par les traces de la main.
Maurice Merleau-Ponty
L'Oeil et l'Esprit
Paris, Gallimard, Folio Essais n° 13,
p. 26 de mon édition de 2002
Nous avons commencé mardi et samedi derniers, souvenez-vous amis lecteurs, à nous intéresser à la vitrine 4 ² qui, sur le mur nord de cette salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, expose plus d'une quarantaine de fragments peints arrachés au milieu du siècle dernier par des pillards dans le mastaba de Metchetchi, à Saqqarah.
Après les quelques explications générales qui avaient fait l'objet de ces interventions, il m'agréerait aujourd'hui de poursuivre en éclairant quelque peu ce corpus iconographique de considérations techniques tournées, dans un premier temps, vers la préparation du support mural, puis, lors de nos deux prochains rendez-vous, vers la réalisation des dessins préparatoires et enfin l'origine des couleurs proprement dites.
Si, à partir de la pièce (E 25513) ici devant nous, vous observez attentivement la tranche plus spécifiquement dans sa partie supérieure, vous remarquerez aisément qu'elle présente trois niveaux bien distincts définissant les trois étapes qui se sont succédé à l'époque de la préparation de la paroi murale.
D'un gris sombre à cause de sa forte teneur en matières organiques, la première couche,
épaisse de 2 à 3 centimètres selon les fragments, est constituée d'un limon d'origine alluviale, argileux et contenant du sable. Aux fins de le rendre plus résistant, on le mélangeait avec de
nombreux morceaux d'herbacées, sorte de paille hachée visible à l'oeil nu mais qui, malheureusement, rendit l'ensemble poreux au cours des temps : c'est ce que d'un vocable d'origine arabe il est
convenu d'appeler la mouna. Certains emploient également le terme "torchis" pour définir ce mélange particulier destiné à lisser la surface du
mur.
Après séchage, ce premier support fut par la suite recouvert d'un enduit d'une épaisseur de 4 à 5 millimètres seulement, à base de calcite microcristalline (carbonate de calcium) qu'une faible quantité d'ocre a légèrement teinté en beige clair. Une analyse pointue que le Louvre a demandée au Laboratoire de recherche des musées de France en 1987 révèle que cette deuxième couche comprenait elle aussi, mais en plus faibles quantités, quelques-uns des composants de la mouna sur laquelle elle avait été appliquée.
Enfin, et c'est la troisième phase préparatoire, la surface ainsi obtenue fut également rendue le plus lisse possible grâce à une mince couche de matière argileuse plus fine encore et contenant, quant à elle, du plâtre (sulfate de calcium), ce qui lui donne une teinte à peine rosée.
C'est sur toutes ces épaisseurs recouvrant le mur initial que le "scribe des contours", comme poétiquement l'appelaient les Égyptiens eux-mêmes, pouvait alors entamer son travail d'artiste.
Si cela vous agrée, j'aimerais que nous nous rencontrions à nouveau ce samedi 26 novembre prochain aux fins de terminer ces quelques petites précisions techniques : nous nous intéresserons ce matin-là plus spécifiquement à la peinture elle-même.
(Ziegler : 1990, 123-4 et 315-6)
(Un merci appuyé à SAS, conceptrice du blog Louvreboîte, à qui je dois à nouveau l'amabilité d'avoir pallié mes manquements photographiques en m'adressant le cliché ci-dessus.)