Une initiative originale vient d’être lancée par deux jeunes entrepreneurs, anciens du cabinet parisien de Bain & Cie. Leur idée est d’enraciner l’engagement sociétal dans l’entreprise en le conjuguant avec l’atteinte d’objectifs de performance.
Une idée dans l’air du temps, puisque de nombreux acteurs (ONG, Fondations, entreprises) étaient présents lors du lancement officiel de cette start up en octobre dernier. Et, que les entreprises cherchent en période de crise à obtenir des résultats rapides non seulement sur certains indicateurs, ayant une incidence directe sur leur compte de résultat, mais aussi dans leurs actions vis-à-vis des communautés
Giving Corner projette les salariés au cœur du processus de RSE. Ces derniers ont en effet la possibilité d’orienter les donations de leur employeur aux associations. D’un simple clic, grâce à un espace web social, qui offre une grande souplesse en matière de décisions et d’informations. Et, qui présente un caractère ludique, susceptible de retenir l’attention des salariés les plus jeunes. Une population exigeante, amatrice de technologies, mais parfois difficile à atteindre pour les ONG.
Dans l’étude Ernst & Yong Panorama des fondations d’entreprises (France, 2008), La mobilisation des employés reste la première difficulté lors de la création d’une fondation d’entreprise.L’entreprise y trouve aussi son compte, puisque le financement de projets caritatifs concrets vient récompenser la mise en œuvre de bonnes pratiques des employés. Différentes actions peuvent gagner des points en fonction de la stratégie de chaque entreprise: baisse de la consommation de papier, réalisation dans des délais rapides de certaines activités récurrentes (planning horaire), participation à des évènements,… Les points accumulés par le salarié sont destinés à financer des projets humanitaires concrets parmi quelques projets présélectionnés par l’entreprise.
Ainsi, des actions internes, parfois même ingrates à mettre en œuvre ou à caractère ponctuel, génèrent de nouvelles ressources pour le secteur associatif. Avec Giving Corner, les salariés vertueux se voient donc en quelque sorte attribuer « une rémunération humanitaire, dont la perception de valeur peut être parfois plus importante qu’une incitation financière.»
Les associations de départ qui ont été retenues par les deux fondateurs de Giving Corner sont la Croix Rouge, Entrepreneurs du Monde, Première Urgence - Aide Médicale Internationale, Pur Projet et SOS Village d’enfants.
Néanmoins, l’interface est modulable, puisque l’entreprise mécène peut ajouter ses propres projets et partenaires associatifs. De même, un employé peut proposer d’ajouter une association qu’il soutient, afin de la faire bénéficier d’une nouvelle source de financement.
Pour François Bracq (à droite sur la photo), « afin d’éviter les risques de dispersion, les entreprises doivent choisir un nombre limité de projets et d’associations bénéficiaires.12 à 15 projets et 3 ou 4 ONG. L’enveloppe initiale attribuée par l’entreprise peut augmenter si les salariés participent activement à la réalisation de projets qui permettent la baisse de certains couts pour l’entreprise (consommation de papier, électricité…), le gain réalisé étant par la suite redistribué aux associations choisis par les salariés, ce qui est particulièrement motivant."
Autre point fort du système, la transparence et l’évaluation. La plateforme permet en effet à l’entreprise de donner un retour sur les projets financés sur l’intranet. De leur côté, les salariés partagent leurs engagements sur un fil d’actualité et peuvent aussi les faire connaître sur les réseaux sociaux.
Tim Lovelock (à gauche sur la photo) nous indique que le projet s'intègre dans un mouvement plus général: « Giving Corner permet aux salariés de partager leurs actions et leurs coups de cœur. Ils peuvent notamment en option diffuser leurs actions (offrir un repas, planter un arbre…) sur Facebook et sur Linkedin. Cette possibilité s’adapte bien aux salariés les plus jeunes. Aux Etats-Unis, ce partage des engagements personnels en faveur d’une cause d’intérêt général est devenu monnaie courante et est même baptisé warm glow. »
Pour DDB OpinionWay (France, 2009), 82% des salariés souhaitent être impliqués dans les actions sociétales de leur entreprise. Pourtant seuls 17% sont effectivement impliqués dans l’effort solidaire de leur entreprise.Les employés d’une même entreprise, éventuellement de divisions différentes et sans préoccupations hiérarchiques, peuvent également constituer des équipes et se lancer des défis.
Avec ce système transparent, le partenariat entreprise/association prend une dimension plus collective. Néanmoins, l’entreprise conserve ses partenaires historiques et sa politique de mécénat reste cohérente. Au final, entreprises, associations et salariés sont dans le même bain et nagent de conserve.
La plateforme a été testée par Bain& Company. Il en ressort que 70% des salariés utilisent de façon récurrente la plateforme et que plus de 1.000 repas ont été offerts aux enfants de Madagascar en moins de 6 semaines.
Selon les témoignages de salariés et du management de Bain Paris, le web social de Giving Corner fournit à la fois un levier à l’entreprise, génère une communication améliorée et conduit à un partage des valeurs. L’outil vient combler un manque, dans la mesure où selon les cas, de nombreux salariés disposent de peu d’opportunités, de temps ou d’argent pour s’engager.
La plateforme collaborative est distribuée sous forme de licence aux entreprises, si bien que 100% des dons des entreprises parviennent directement aux projets.
François Bracq considère que les besoins sont palpables :
« Notre solution s’adresse à deux types d’entreprises. D’abord, aux firmes de plus de 200 salariés, déjà engagées dans une démarche de responsabilité, disposant souvent d’une Fondation d’entreprise, mais ayant besoin d’un outil qui permet de communiquer et fédérer le plus grand nombre autour de sa démarche sociétale. Mais aussi aux PME, notamment dans les services, dont la plupart des salariés disposent de PC, et qui se situent en amont d’une réflexion de développement durable, aussi bien en termes d’implication des salariés que de mise en place de bonnes pratiques. Enfin, dans le cadre de l’industrie, où tous les employés ne disposent pas d’un ordinateur, nous prévoyons de développer une solution sur smartphones.»
La start up se trouve à la croisée de diverses tendances, comme la présentation en ligne de différents projets par Babyloan ou Kiva dans le microcrédit, la recherche de bénévoles comme le site generation-responsable.com, créé à l'initiative de Generali en juillet 2009, mais aussi de systèmes de fidélisation par points, comme ceux de Monoprix S’miles et Air France Miles. Elle répond aussi à une volonté de bonne gestion, à une époque où les cost killers font florès, mais avec d’autres méthodes.
Au final, les échanges sociaux offerts par Giving Corner grâce à une technologie innovante tranchent avec une image parfois veillotte du mécénat. Les termes associés "fait du prince" et «mécénat» produisent 42.900 résultats sur Google et "danseuse du président" et « mécénat » 13.900 occurrences… Alors que les clichés ont la dent dure, la crise ne permet plus de lancer des actions de mécénat débridées et en décalage avec les attentes des salariés, donc de la société.
Pour aller plus loin :
Le site de la société : http://givingcorner.com/
Qui sont les fondateurs ?
Tim Lovelock (Diplômé de Yale) a participé à la création de plusieurs sociétés Internet. Ingénieur de formation François Bracq a vécu en Amérique centrale et en Asie. Les deux associés se sont rencontrés à l'INSEAD en 2007. Par ailleurs, le père de Tim, qui était professeur à Harvard, fut l'un des pionniers dans le secteur du Non-Profit Marketing.
Tim et François ont rejoint le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company au sein duquel ils ont consolidé leurs compétences entrepreneuriales et développé l’idée d’échange caritatif. Mi-2010, ils ont tous les deux quitté le conseil pour créer Giving Corner.
Par ailleurs :
Engagements du cabinet Bain & Company : The Bridgespan Group
http://bain.com/about/social-impact/nonprofit-sector-capability-building.aspx
Lilly Global Giving Puts Power of Philanthropy in Employees' Hands. 25/07/2011
https://investor.lilly.com/releasedetail2.cfm?ReleaseID=593728
Les entreprises mécènes donnent la priorité aux actions sociales et au sport. 14/10/2010
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/10/la-crise-et-la-priorite-accordee-au.html
Le goût des défis chez les salaries se retrouve aussi dans la participation interentreprises à des épreuves sportives organisées par des ONG, mais aussi dans la récente guerre des Post-It…
http://www.lepost.fr/article/2011/08/03/2561835_la-guerre-des-post-it-est-lancee-au-travail.html