Poésie du samedi, 37 (nouvelle série)
Dans ma quête poétique qui a aussi des allures de chasse spirituelle, je tombe en arrêt devant un petit recueil titré en caractères minuscules tentatives de louange. Humilité du dire d’un homme qui sait sa « céleste insuffisance »… Son auteur est presque centenaire mais il chante la vie avec l’allégresse émerveillée d’un chevreau batifolant dans les prés, tétant goulument les mamelles de sa mère et gambadant au soleil. Je le dis avec la manière rustique du rural contemplatif que je suis, mais Henry Bauchau est poète de la joie qui demeure, un poète qui chante la Création, qui tutoie le Seigneur et un certain maître Eckhart. Un type dont une maturité certaine n’aurait pas occulté les yeux de l’enfance. Bref, un lyrique comme je les aime.
D’où ces louanges qu'on peut lire comme autant de tentatives de construction à la gloire du principe créateur, quel que soit le nom qu’on lui donne. Et aussi à tous les acteurs anonymes, humbles seconds rôles de cette création continuée…
« Louange à l’herbe, aux champs, au béton humilié
Et à tous ceux qui plantent ce que l’on voit à peine
Louange à l’art des cavernes
Louange à l’artisan
Je ne connais pas l’art profane
Tout est sacré. » (in Exercice de louange, décembre 2010)
Sans doute tout est sacré à partir du moment où on le dit. C’est l’action du Verbe créateur qui est l’acte poétique, l’acte constructeur fondamental. Mais il y a construction et construction. Ecrins trop ostentatoires ou modestes ouvrages d’architectes discrets… Et rien ne saurait faire oublier la chaleur de la pierre pour qui sait la sentir… et plus encore celle de cette chapelle évoquée ici, l’église d’hommes du merveilleux roman de Fernand Pouillon, sacrée de pierres sauvages…
Architectures de louange
Sur le grand escalier nous nous sommes assis
Que la pierre était douce, d’une chaleur humaine.
Immense, derrière nous, présence du château
De l’orgueilleux témoin de la beauté captive.
Façades flétries de gloire et toujours oubliant
Les pauvres, labourés de guerres et de travaux.
Marches douces, escalier modulé par le temps
Longues lignées des arbres, rongées par l’ouragan
Grandes étendues d’eau, la volonté d’un seul
Qui de lui-même crée l’étincelante image.
Ciel bleu, ciel incertain, viennent de lents nuages
Qui vont former des lieux de montagnes et d’abîmes
Des châteaux infinis, de siècles et d’orages
Malgré gloire et beauté, la fin du temps des rois
Il y a trop, trop de statues, trop de fontaines.
Tous deux nous sommes dans la chaleur des pierres
Heureux de la pensée, bleue ou verte, dorée
Pensée de gloire modeste toute tournée vers l’Autre
Celle du Thoronet, sacrée de pierres sauvages,
Voûtes puissantes, maison debout, église d’hommes
Ayant pris forme maternelle, et célébrant la vie
Léger escalier sur le toit qui monte vers la tour
L’art nécessaire est là, rien de trop, rien ne manque
Simplicité de blé, travail, prière et calme
Nous pouvons devenir, devenir toujours plus
Architectes discrets, maisons de la louange.
Soleil intermittent, bénédiction des verts teintés d’automne
Nous nous sommes retrouvés dans un autre jardin
Plus de grands escaliers, de palais de nuages
Belles pelouses, le ciel et l’ombre s’extasient
Roses de ce jardin, mortelles défleuries
Le monde a bien besoin au déclin de ce jour
De vos poèmes de louange
Que leur profondeur parle, lueurs brèves, ténèbres.
(écrit en novembre 2010)
Henry Bauchau (né le 22 janvier 1913 à Malines, en Belgique) in tentatives de louange, qui vient de paraître chez Actes Sud, 2011. Il faut lire le Bauchau poète, moins connu que le romancier d’Œdipe sur la route ou d’Antigone. On trouve tout sur lui (bibliographie, biographie, actualités diverses) dans l’excellent site Fonds Henry Bauchau.