A la place de la Chronique du Week End, une lettre du Lundi.
Une lettre ouverte à ceux qui veulent éradiquer ce qu’ils appellent le piratage.
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A l’attention des « défenseurs » de la culture,
Cette année et ces derniers mois plus particulièrement, vous avez multiplié les interventions, propositions et sorties médiatiques pour défendre la culture contre le “piratage” au sens large du terme. En voici quelques exemples :
- Jean-Marc Roberts, directeur éditorial des éditions Stock, appelle à se battre pour un “lieu unique de vente de livres”, à savoir les librairies, en préférence à Internet.
- Le Président de la République Nicolas Sarkozy veut s’attaquer au streaming avec un troisième volet de la loi Hadopi, assimilant toutes les plate-formes sans distinction de voleurs.
- Pascal Nègre, PDG d’Universal Music, veut obliger les sites de streaming à limiter une écoute de morceau, « car 4 écoutes sont suffisantes pour savoir si on veut acheter un titre ».
Evidemment, ces mesures ont rencontré une levée de bouclier de la part des pro-partage. Cette opposition durant depuis maintenant une décennie, nous pensons qu’il est inutile de répéter dans le détail les arguments de chacun, ils sont aussi connus que nombreux. L’objet de cette lettre ouverte réside plus particulièrement dans un point : vous avez déjà perdu, mais le saviez-vous ?
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Vous avez perdu car depuis plus de dix ans maintenant, la plupart de vos actions ont été des réactions, courant après ce que vous appelez le piratage. Le freiner, le sceller, le punir. La position des hommes qui influent ou dirigent, c’est de mener des mouvements, de les comprendre en amont, pas de rester sans cesse dans le post-évènement.
Votre défaite aura été de ne pas voir venir la révolution numérique.
Votre défaite aura été de vous voiler la face trop longtemps.
Votre défaite aura ensuite été de réagir dans l’excès.
Votre défaite aura été de vous couper encore plus de votre public, en agissant par la menace et la punition.
La défaite, c’est de refuser de regarder les chiffres actuels de la culture en face, chiffres plutôt bons, au demeurant.
Votre défaite, c’est de soutenir un message et des projets binaires, lorsque le paysage de la culture s’est largement complexifié.
Votre défaite, c’est d’attirer doucement et sûrement le grand public vers la généralisation du cryptage, en les rabattant avec des lois, des mesures et des négociations punitives.
La défaite surtout, c’est de continuer à se battre pour des règles et des privilèges qui appartiennent à un ancien régime, qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui.
Votre défaite enfin, c’est d’avoir laissé d’autres personnes s’emparer de la victoire.
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Car en partenariat, en parallèle, dans votre dos ou tout simplement sans vous, de nombreuses personnes, projets et sociétés ont redéfini la manière dont nous consommons et accédons à la culture et ce, de manière légale ou non. Des noms comme Blizzard, Apple, Google, SoundCloud, Spotify, Riot Games, mais aussi Supernews, Megaupload ou eMule (aucun ne venant… de l’industrie culturelle, donc) ont surfé chacun à leur manière sur ces nouvelles approches de la culture. Certains modèles tiendront, d’autres non, mais la diversité des approches et leur popularité montrent qu’il existe un avenir pour la culture. Et que cette dernière doit être redéfinie.
Car le consommateur s’est lui aussi enrichi. Il aime toujours autant la culture, voire plus qu’avant, vu qu’il possède désormais le choix et la manière de se cultiver. Ce que vous appelez piratage, c’est aussi de la copie et du partage. Les chiffres le montrent : les gens téléchargent et continuent d’aller au cinéma. Les gens téléchargent et vont toujours plus aux concerts. Les sites de partage servent de terrains de découvertes et de promotion. La culture a éclaté pour revenir d’un modèle oligopolistique à un modèle atomistique. Il y a des gens qui abusent, mais il y a aussi des gens qui, comme nous, marient plusieurs modes de consommation de plus en plus naturellement.
Car les consommateurs sont toujours prêts à dépenser, juste à dépenser autrement que dans les règles qu’on lui a imposé jusqu’alors. C’est un mouvement qui vous a dépassé, mais un mouvement qui continue de vous tendre la main, en attendant que vous le compreniez et que vous l’accompagniez avec des propositions et des offres modernes et pertinentes, au lieu de lui courir après, sachant pertinemment que vous ne le rattraperez jamais.
Car vous continuez de raisonner comme si vous pouviez circonscrire, supprimer le partage, le streaming et la copie comme s’ils étaient des phénomènes sales et balbutiants. Et vos aboiements, au lieu de faire rentrer le troupeau dans le rang, ont dispersé vos consommateurs à travers champs.
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Demain sera sans doute dur pour les industries culturelles. Mais ce n’est pas dû au piratage. La culture, son accès comme sa production se sont tellement démocratisés que leur valeur pécuniaire s’est effondrée. Ce n’est pas injuste, c’est le sens de l’Histoire.
Nous vous écrivons d’ailleurs en tant que consommateurs, mais également en tant qu’auteurs. Nous gagnons notre vie par la création : des textes, des photos, des visuels. Partout, nous voyons nos métiers et leurs marges s’écrouler avec les nouvelles technologies, le numérique. Mais il existe d’autres modèles à inventer. La création rapportera globalement moins d’argent à l’avenir. Et alors, sommes-nous devenus des créateurs, des artistes pour devenir riches ?
Il y a aura peut-être moins de chanteurs multimillionnaires. M. Nègre, qui faites la guerre aux sociétés innovantes, populaires et légales comme Deezer en les accusant d’affamer la Musique, vous ne pourrez peut-être plus émarger à 83 300 euros par mois hors bonus. La SACEM ne pourra peut-être plus non plus rétribuer ses 10 premiers dirigeants 260 000 euros par an, non. Elle devra même peut-être se montrer transparente sur sa gestion interne et la manière dont elle redistribue l’énorme manne issue des taxes arbitraires sur la copie.
Il y aura des dommages, du manque à gagner. Et ceci sera la conséquence directe tant de la démocratisation du numérique, que de la culture de la copie, que du manque de réaction constructive de la part des autorités et des producteurs de contenus pour créer des modèles légaux pertinents à temps. On ne tente pas de dompter un torrent – pardonnez la métaphore – en donnant quelques coups de pagaie. Votre discours de la Culture comme un bien à part se retrouve donc paradoxal et ainsi, stérile face à vos exigences économiques révélant une nature beaucoup plus « industrie comme une autre ».
Nous sommes cependant d’accord, pour parler du côté sauvage de ce torrent. Il existe des régulations à créer, certains nouveaux acteurs tentent de cloisonner à leur manière ce nouveau visage de la culture, il faut nous défendre de cela. C’est ici que vous devez jouer votre rôle de proposition, d’innovation et de modernité. Car simplement rattraper son retard, c’est une autre manière rester derrière. Ce qu’il faut, c’est un grand bond en avant de vos mentalités pour repasser devant. Et tirer de l’immense fleuve numérique des richesses équitables et durables.
Et ce grand bond commence par une reconnaissance de la Défaite. C’est l’objet de cette lettre ouverte : arrêtez de vous comporter comme au XXe siècle. Arrêtez de penser que vous pouvez encore gagner cette première bataille, nous sommes en 2011 et elle est perdue depuis longtemps. Reconnaissez vos maladresses, le décalage de vos actions avec notre époque. Demain apportera encore plus de challenges. A vous de choisir si vous voulez souffrir en les accompagnant, ou mourir en vous y opposant.
Alors, pansez vos plaies, embrassez la réalité de notre époque et surtout, reconnaissez votre défaite : cela reste la manière la plus élégante et la plus saine de viser une future victoire.
Cordialement,
La rédaction du Journal du Geek
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