Magazine Cinéma
En 1995, Kassovitz assénait une belle claque au cinéma hexagonal avec La Haine, violente plongée au cœur des banlieues françaises, et attaque virulente contre les forces de police. Propulsé vers le succès, étiqueté cinéaste engagé, digne héritier d’un Costa Gavras. Sauf que. Entre temps, on avait perdu le cinéaste, en terre américaine, où tout en réalisant ses fantasmes de gosses, il nous pondait les deux bons gros navets que sont Gothika et Babylon A.D. Son retour derrière la caméra était donc tout aussi craint … qu’attendu. Dans son collimateur 15 ans plus tard : les magouilles gouvernementales et les dérives militaires. Car, L’Ordre et la morale vient gratter des plaies encore mal cicatrisées : celles, conséquentes à la tragédie de mai 88 où, en Nouvelle-Calédonie, un groupe d’indépendantistes Kanak, qui avait pris des membres du GIGN en otages, a trouvé la mort sous les balles de l’armée. Chirac, en pleine campagne présidentielle, avait donné l’assaut. Kassovitz, pour offrir au spectateur autre chose que la version officielle des faits, s’est ultra documenté, et bien entouré (vrais kanaks, anciens militaires, Iabe Lapacas- cousin d’Alphonse Dianou, le chef des preneurs d’otages). A travers les yeux du capitaine du GIGN, Philippe Legorjus, dont il interprète lui-même le rôle, il se montre bien décidé à n’épargner personne.
A chaque plan, on sent la détermination et l’empathie du réalisateur, de l’homme- pour ce qu’il évoque et dénonce. Son Ordre et la Morale est donc un film nécessaire, à valeur didactique, pointant du doigt l’inhumanité des politiciens, et l'obéissance aveugle de l'armée, lorsque des questions financières ou électorales sont en jeu. Côté cinéma, Kassovitz s’est calmé. Et ce n’est pas plus mal. Même s’il cède encore parfois aux sirènes US, convoquant influences coppoliennes en lorgnant du côté d’Apocalypse Now notamment, le cinéaste a su judicieusement s’effacer derrière son sujet. Mieux : on y retrouve tout de même sa patte, et quelques effets de style bien sentis. La photographie est classieuse, le traitement globalement sobre, le résultat convaincant. Hormis quelques petites maladresses (un compte à rebours systématique et confortable) et une clôture un peu légère ("La vérité blesse, le mensonge tue", il y avait mieux …), Kassovitz négocie plutôt bien son retour, avec un film qui compte.