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Euro: éthique de conviction et éthique de responsabilité

Publié le 21 novembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Partisans et adversaires de l’euro se sont toujours affrontés en agissant selon deux formes d’éthique opposées.

Par Charles Gave

Euro: éthique de conviction et éthique de responsabilité

Max Weber en 1894

Max Weber est ce sociologue Allemand qui est à l’origine de l’idée que le développement économique a commencé avec l’éthique puritaine et protestante, qui aurait favorisé l’accumulation du capital à la place de la consommation immédiate. Cette accumulation du capital aurait été à l’origine du développement économique.

Cette idée a été à l’origine de débats passionnés qui ont encore cours aujourd’hui puisque j’ai encore lu un article, la semaine dernière, à ce sujet dans le « International Herald Tribune ».

Mais Max Weber, toujours au sujet de l’éthique, a développé deux autres notions particulièrement utiles. Selon lui, et dans la mesure où le but recherché est « l’intérêt général », ceux qui sont amenés à prendre des responsabilités, en particulier politiques, s’appuient toujours sur l’une ou l’autre des deux formes d’éthiques qu’il avait identifiées : l’éthique de responsabilité ou l’éthique de conviction.

Essayons de passer au crible de ces notions le débat actuel sur l’euro.

Les partisans de l’euro se sont lancés dans cette politique aventureuse en sachant pertinemment que cela risquait de ne pas marcher, tant ils étaient persuadés que le mouvement européen avait comme fin ultime la création d’un État Fédéral.

Ils ont donc agi en fonction d’une éthique de conviction.

L’établissement d’un État fédéral est une chose qui mérite tous les sacrifices, et le mouvement de l’Histoire (avec un grand H) va dans leur sens.

Ceux qui y étaient opposés ont refusé l’euro tant les chances de réussite d’un tel projet leur paraissaient faibles et les dangers immenses (voir par exemple mon livre Des Lions menés par des ânes, chez Laffont).

Ils s’appuyaient donc sur une éthique de responsabilité : les risques d’un échec leur paraissaient beaucoup trop importants pour que l’on se lance dans un projet aussi dangereux. L’échec très probable de l’euro risquait de remettre en question tous les acquis européens, ce qui était prendre un risque beaucoup trop grand.

À l’évidence, l’euro a lamentablement échoué, comme le craignait les eurosceptiques d’il y a une dizaine d’années.

Et, bien sûr, les deux camps opposés sont toujours face à face, aussi virulents qu’il y a 10 ans, même si le camp des opposants s’est quelque peu renforcé, et que je me sens un peu moins seul. Mais mystérieusement, le combat se fait maintenant à front renversé…

- Les partisans de l’euro se retranche, avec une hystérie certaine, dans l’argument que si on permet à l’euro d’éclater, cela serait totalement « irresponsable » et amènerait une dépression généralisée, un effondrement de nos systèmes financiers, et un appauvrissement général. Tout le monde peut voir qu’ils sont passés d’une éthique de conviction à une éthique de responsabilité. Leur argument essentiel est : « J’ai monté une usine à gaz qui va – peut-être – nous ruiner, mais si vous la détruisez, nous serons certainement tous ruinés. » Ils ont eu tellement tort dans leurs pronostics passés que je ne vois pas très bien pourquoi ils devraient avoir davantage raison cette fois-ci.

- Les opposants d’autrefois, quant à eux, sont passés à une éthique de conviction et même de convictions très fortes. Non seulement ils sont certains que le système actuel nous amène dans une dépression mais, en plus, ils voient tous les jours que les procédures démocratiques reculent partout en Europe au profit d’une technocratie triomphante et non élue qui, très curieusement, a été à l’origine même des désastres actuels.

Cette constatation intéressante ayant été faite, quelle conclusion peut-on tirer de tout cela ?

1. Il ne s’agit en rien d’un désastre lié « au marché », comme on aime à le dire en France, mais de tout son contraire. Le marché fonctionne par définition avec des taux de change et des taux d’intérêts libres. L’euro a bloqué ces deux prix qui sont les deux prix les plus importants dans un système économique, et tout le monde sait, depuis l’édit de Dioclétien, que bloquer les prix amène partout et toujours à des dysfonctionnements majeurs. Il s’agit donc d’un problème créé par des gens qui se pensent plus intelligents que les marchés, qu’il est convenu d’appeler des technocrates ou des eurocrates. Le problème essentiel est, de fait, le déficit démocratique et le déficit de marché au cœur même des institutions bruxelloises.

2. Résoudre ces problèmes en faisant appel à plus de technocratie, à moins de démocratie et à moins de marché ne PEUT PAS fonctionner. Faire PLUS de quelque chose qui ne marche pas, c’est être CERTAIN que la situation va continuer à s’aggraver.

3. Le problème est que ceux qui ont tort, comme tous les bons technocrates qui se respectent, ont totalement pris le contrôle de tous les rouages de nos gouvernements, ce qui fait que l’électorat a beaucoup de mal à se faire entendre.

4. J’en arrive donc à une conclusion toute simple, en suivant les méthodes d’analyse de Toynbee. Les élites ont vocation à régler les problèmes structurels qui se posent à un pays. Si ces élites n’arrivent pas à traiter le problème, il faut alors les remplacer. Dans une démocratie, cela se fait par des élections. Si aucun choix réel n’est proposé aux lecteurs, cela se fait par une révolution (France 1789) et un changement de régime.

En fait la seule solution démocratique est que l’un des deux candidats sérieux à l’élection présidentielle propose un référendum sur l’euro et redonne la parole à celui que les Suisses appellent le Souverain, c’est-à-dire au peuple.

Sinon il est à craindre que des candidats marginaux n’ayant pas une passion débordante pour la démocratie n’enfourchent ce cheval de bataille, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner…

Cette crainte a été et reste ma crainte principale depuis les débuts de l’euro : que l’euro, outil technocratique s’il en fut, ne détruise nos démocraties.

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