La répression des jeunes racailles est l'une des composantes de l'ADN politique de l'ancien ministre de l'intérieur. Aussi, quand une récente étude d'un organisme pro-gouvernemental sur les délinquants a été publiée la semaine dernière, il faut s'attarder sur ses conclusions et sa méthodologie.
De quoi parle-t-on ?
L'ONDPR, présidée par son ami et proche conseiller Alain Bauer, vient justement de publier une bien curieuse étude des « caractéristiques de sexe et d'âge des auteurs de crimes et délits à partir d'une approche multi-sources », réalisée par Christophe Soullez, numéro deux de l'ONDRP et collaborateur au site d'informations Atlantico. Elle a consisté à rapprocher les enquêtes « Cadre de vie et sécurité » de l'Insee (qui sonde chaque année quelque 85 200 personnes de 14 ans et plus sur les délits subis dans les deux années précédentes), avec les propres données des « mis en cause » par les forces de l'ordre.
L'ONDPR note que « les statistiques sur les auteurs d’atteintes personnelles décrits par leur victime au sein de l’enquête de victimation présentent une cohérence avec celles sur les personnes mises en cause par la police et la gendarmerie ». C'est heureux.
Faire peur avec la délinquance mineure
L'essentiel des conclusions des auteurs portent sur la délinquance des mineurs. On sait que Nicolas Sarozy y porte une attention toute particulière. Sans vouloir davantage responsabiliser les moins de 25 ans (et a fortiori les moins de 18 ans) comme en témoigne ses ridicules efforts en faveur des étudiants (le 10ème mois de bourse a été enfin octroyé... à 6 mois de la fin du mandat) ou des jeunes travailleurs (le RSA jeunes est si contraint qu'il ne concerne que moins de 10.000 personnes), le Monarque s'est en revanche attaché à tacler symboliquement les « petites racailles »: décret anti-cagoules, peines plancher, alignement du régime des mineurs sur celui des majeurs, etc.
Les principales conclusions semblent avoir été rédigées sur-mesure pour le programme du futur candidat à sa réélection. Jugez plutôt. Dès les premières pages, on annonce la couleur: « Près de la moitié des victimes de vols violents affirme qu’au moins un des auteurs de la dernière atteinte était mineur (49 % des victimes). » Ou encore: « les mineurs se déclarent beaucoup plus fréquemment victimes que les majeurs d’actes commis par au moins un auteur mineur. » Les commentaires des tableaux statistiques qui suivent sont à l'avenant: «
On se perd sous l'avalanche de détails et de commentaires ultra-ciblés. Prenez celui-ci (page 11): « Environ trois mineurs de plus de 14 ans sur quatre victimes d’un vol personnel avec violences, d’un acte de violence physique ou de menace hors ménage déclarent que l’atteinte la plus récente a été commise par au moins un mineur.» Les proportions frappent l'esprit: « trois quarts », « un sur deux » , « plus de la moitié », « neuf sur dix». La manoeuvre est évidente, la ficelle est très grosse.
Tout est rédigé de façon à nous faire flipper sur une France devenue la proie d'une jeunesse-racaille. Et d'ailleurs, les rares comptes-rendus reproduisaient ces raccourcis et amalgames. « Les mineurs commettent la moitié des vols violents » titrait le Monde dans son édition datée du 16 novembre. Le Point était à peine plus prudent: « Une étude confirme l'importance des mineurs dans la délinquance ».
Revenons aux résultats bruts.
La délinquance augmente
La véritable conclusion de cette étude n'est pas énoncée, et c'est un comble. La Sarkofrance s'acharne à nous convaincre que la délinquance générale baisse depuis que Nicolas Sarkozy s'occupe de la chose, soit 2002. En fait, si les atteintes aux biens diminuent régulièrement grâce notamment aux progrès technologiques, les atteintes aux personnes n'ont cessé d'augmenter. Et bien, justement, cette étude confirme que le nombre de mis en cause, adultes ou pas, pour des atteintes à l'intégrité physique ne cesse d'augmenter.
Cette étude soulève ainsi de vraies questions, notamment sur la perception de l'insécurité et ... l'échec de la politique du chiffre de Nicolas Sarkozy depuis bientôt 10 ans.
Précisons d'abord que cette étude ne traite pourtant pas de la délinquance des mineurs. Elle ne concerne d'ailleurs que certains mineurs, ceux de 14 à 18 ans.
Elle relève, en premier lieu, que le nombre de mis en cause a progressé d'environ 79.000 personnes en 4 ans (2005-2010), exclusivement pour des atteintes aux personnes:
- le nombre de personnes mises en cause pour atteintes aux biens a légèrement baissé de 3.633 entre 2005 et 2010, pour atteindre 315.000 l'an dernier.
- à l'inverse, le nombre de personnes mises en cause pour atteintes aux personnes a progressé de 43.000 en 4 ans.
En matière d'atteintes aux personnes, toutes les catégories d'âges et de sexe sont concernées: le nombre de mis en cause, de près de 240.000 au total, a progressé de 43.000 entre 2005 et 2010, dont +24.300 d'hommes adultes, +6.000 de femmes majeures, +9.000 de garçons mineurs et +3.400 de filles mineures. Ces chiffres sont à rapprocher avec l'explosion de la délinquance violente depuis une décennie. Sur la même période d'analyse (2005-2010), les atteintes aux personnes ont cru de 411.000 actes en 2005 à 467.000 en 2010.
Des mineurs plus délinquants ?
L'étude confirme une forte progression du nombre de mineurs mis en cause dans les actes de délinquance. Ainsi, la proportion des mineurs de 14 à 18 ans entre 2005 et 2010 représente :
- pour les vols violents, 46% des mis en cause et 49% des identifiés;
- pour les vols sans violence, 33% des mis en cause et 21% des identifiés;
- pour les actes de menaces, 13% des mis en cause et 23% des identifiés.
- pour les coups et blessures non mortels, 18% des mis en cause.
Alors ? Notre jeunesse serait-elle devenue une immense racaille ? Pas vraiment.
Il faut d'abord rappeler que pour atteindre de telles proportions de délinquance mineure, les auteurs de l'étude amalgament les infractions à auteurs multiples où « au moins un des auteurs était mineur » avec celles à auteur unique. Or la responsabilité d'un mineur dans un crime ou délit commis à plusieurs est évidemment plus difficile à évaluer.
Ensuite, à l'exception des vols violents, il est assez surprenant de constater que le nombre de mineurs mis en cause par les services de police est systématiquement plus élevés que celui identifié par les victimes. Y-aurait-il des consignes de « chasse au jeune »
80% des délinquants sont adultes
Ensuite, depuis 2005, la hausse du nombre de mis en cause provient d'abord des hommes adultes (+43.000, soit +6% en 4 ans). Ces derniers représentent toujours le contingent majoritaire des mis en cause (70%). Les fameux mineurs, garçons ou filles, représentent 22.000 mis en cause supplémentaires entre 2005 et 2010, soit une progression respective de 8% pour les garçons (+13.000) et de 34% pour les filles (+9.000). Autrement dit, la délinquance adulte est la cause principale de la hausse de la délinquance en France depuis 4 ans.
Tout crimes et délits confondus, les mineurs ne représentent que 19% des mis en causes par les forces de l'ordre, soit 216.243 personnes l'an dernier (dont 84% de garçons et 26% de filles).
« En 2010, 1.146.316 personnes sont mises en cause par la police et la gendarmerie pour crimes et délits. Parmi elles 781.137 sont des hommes majeurs, soit 68,1% de l’ensemble des mis en cause. Sont également dénombrés 181.127 hommes mineurs (15,8 % des mis en cause), 148.936 femmes majeures (13,0 % des mis en cause en 2010) et 35.116 mineures (3,1%).»La police a levé le pied sur la chasse aux clandestins
L'ONDPR relève également qu'en quatre ans, le nombre de garçons mineurs et de femmes adultes mis en cause n'a cessé d'augmenter: +14.000 pour chaque catégorie. A l'inverse, les hommes majeurs mis en cause sont chaque année moins nombreux depuis 2010. Et cette baisse provient d'une cause inattendue. L'ONDPR avance une étonnante explication: « Une part importante de la baisse des mises en cause d’hommes majeurs, tous crimes et délits confondus, enregistrée entre 2008 et 2010, est expliquée par les seules infractions à la police des étrangers. »
Vous avez bien lu. Depuis 2008, première année pleine du mandat Sarkozy, les forces de l'ordre ont moins interpelé de clandestins que les années précédentes. L'information est surprenante car Nicolas Sarkozy avait officiellement « mis le paquet » sur la traque aux sans-papiers, avec tous les abus que l'on connaît.