La mise en place d’une Allocation Universelle – le versement à toute la population d’un revenu de base – peut permettre de sortir de la spirale infernale du dirigisme social-démocrate.
Par Alain Cohen-Dumouchel
Tous les analystes économiques et politiques le disent, les marchés ont besoin, pour retrouver confiance, non pas de recettes techniques de réduction des dépenses ou d’augmentation des impôts, mais d’une vraie vision à long terme de l’organisation des finances publiques. Au-delà des rustines financières et des grandes déclarations rassurantes, ce n’est rien moins qu’une autre méthode de fonctionnement de notre sociale-démocratie qu’il faut envisager. Le mécanisme de l’Allocation universelle, s’il est accompagné de réformes institutionnelles, fournit une réponse intéressante car il permet de faire sortir le social du champ politique. Il s’agit de rendre l’aide sociale aussi indépendante du gouvernement que la justice ou la monnaie devraient l’être. Notre pays consacre près de 60% des dépenses publiques à la protection sociale. La nébuleuse sociale comprenant les retraites, l’assurance-maladie, les allocations chômage, les allocations familiales, les aides au logement et les multiples aides locales est comme partout, mais peut-être plus qu’ailleurs, d’une incroyable complexité et mobilise une administration toujours plus importante. Mis en place dans ses grandes lignes, au début des trente glorieuses, le système ne parvient pas à lutter contre la pauvreté et n’a aucun effet sur le chômage endémique qui ronge la société française.Plus grave, cette redistribution à prestations définies est financée en bonne partie par un irréductible déficit public – 119 Mds d’euros pour l’État et 28 Mds d’euros pour la sécurité sociale en 2010 – au lieu de découler des richesses produites et ce, avant même la mise en place de la nouvelle prestation dépendance annoncée par le chef de l’État. Selon les analystes et suivant les postes pris en compte le montant des prestations sociales va de 550 Mds à près de 600 Mds d’€. Malgré un emballement récent des dépenses (+50% en dix ans), la protection sociale ne parvient pas à rassurer les français qui éprouvent un fort sentiment d’insécurité et qui, notamment pour les jeunes, ne pensent pas que leur avenir est prometteur.
Ce constat doit être replacé dans le contexte politique du fonctionnement des sociales-démocraties où le bipartisme provoque une surenchère de dépenses et d’engagements intenables. En sociale-démocratie, les dépenses croissent inexorablement car c’est le camp qui promet d’allouer plus de ressources à sa clientèle électorale qui gagne les élections. L’effet cliquet de la dépense est institutionnel et structurel. La crise, que les tenants du système imputent à la « mondialisation libérale » est en fait un débordement de l’État, une bulle étatique provoquée par des institutions qui la rendent inéluctable.
La mise en place d’une Allocation Universelle peut permettre de sortir de cette spirale infernale du dirigisme bien-intentionné en séparant le pouvoir social – devenu incontrôlable – de l’exécutif et du législatif.
L’allocation universelle consiste à verser à une population de référence toute entière (les français) un revenu de base, inconditionnel, insaisissable, et cumulable avec tous les autres revenus.
L’allocation universelle est un concept dont les fondements ont deux siècles d’existence. Elle existe à gauche comme à droite. C’est une idée qui fait lentement son chemin et qui apparaît de plus en plus réaliste compte tenu des montants atteints par les aides sociales. L’allocation universelle peut prendre plusieurs formes dans lesquelles varient le montant distribué, la périodicité, l’échelle de distribution (régionale, nationale, continentale ou mondiale), le cumul ou la suppression des autres aides. Préconisée par une partie des libéraux, par des mouvements chrétiens et par des socialistes alternatifs, l’allocation universelle se présente sous différentes dénominations, sous différentes formes et obéit à différentes motivations.
L’allocation universelle libérale (AUL) : fonctionnement, financement et conséquences attendues.
Organisme de tutelle : l’AUL doit impérativement être extraite du champ politique pour ne pas faire l’objet des surenchères électorales évoquées plus haut. L’assiette et le montant de l’impôt consacré à l’AUL ne devraient être modifiables que par référendum, et les règles de son attribution par le congrès. Un organisme spécialisé, indépendant du gouvernement, serait chargé de son fonctionnement. Les pouvoirs publics auraient l’interdiction constitutionnelle de distribuer des faveurs sociales, et ce à tous les niveaux administratifs, locaux ou nationaux.
Montant : pas de fixe et une garantie d’équilibre. Les chiffres les plus couramment retenus vont de 500 € à 750 € par mois pour une personne adulte et la moitié, versée aux parents, par enfant de moins de 18 ans. Dans sa version haute de 750 €/mois l’AU couterait 510 Mds d’euros à la collectivité nationale. Si l’une des ces sommes peut servir de point de départ, l’AUL ne doit surtout pas être fixe. Elle sera ajustée aux rentrées fiscales prévues pour son financement. Sont exclues toutes formes d’indexation ou de revalorisation automatiques. Ne seront reversées que les sommes effectivement perçues les années précédentes, selon une règle à définir. On peut envisager que L’allocation universelle libérale soit basée sur un pourcentage du PIB. Si il baisse, l’AUL baisse. Si l’AUL favorise la fainéantise, comme le craignent ses détracteurs, alors elle diminue. Si au contraire elle remet au travail des millions d’individus et redonne du souffle à la société civile, alors le PIB augmente et l’AUL fait de même.
Aides remplacées par l’AUL : retraites (hors complémentaires), allocations chômage, RSA, emplois aidés, allocations familiales, aides au logement (y compris logement social), formation professionnelle, bourses étudiantes, aides locales (hors associatives). Ne sont pas concernées l’assurance maladie et les aides spécifiques aux handicapés.
Pour les retraites, un système de capitalisation associé à l’AUL sera beaucoup plus efficace et équitable que l’actuel système de répartition qui permet avant tout aux français qui vivent vieux, généralement les plus riches, de faire financer leur retraite par ceux qui meurent jeunes.
Cumulable avec tout salaire, l’AUL permettra d’éviter tous les effets de seuil actuels que le RSA tente de gommer de façon complexe et incomplète. Elle mettra fin à un système ou travailler à temps plein au salaire minimum est à peine plus rémunérateur (parfois moins) que de cumuler toutes les aides disponibles. L’AUL, en remotivant les classes moyennes inférieures, particulièrement découragées par la logique actuelle, les rendra moins sensibles au discours de l’extrême droite.
Accompagnée d’une baisse du SMIC, par exemple à hauteur de 50% du montant de l’AUL, elle permettrait de rendre notre économie plus compétitive, de stopper une part des délocalisations et de faire baisser le coût de la vie, notamment pour les plus démunis. Le salaire minimum actuel trop élevé (20 000 € chargés annuels), sorte de « niveau de vie décrété », maintient une part croissante de la population dans la « trappe de la pauvreté ». Ceux dont le travail et la qualification valent moins que le SMIC sur le marché sont, de fait, interdits à vie de travail par notre système social. Cette population échappe aux statistiques du chômage puisqu’elle est constituée majoritairement de personnes qui ont renoncé à trouver un emploi. L’AUL se propose donc de resocialiser les exclus en leur donnant à nouveau accès au marché du travail, ce faisant elle entrainera une augmentation du PIB donc des recettes supplémentaires de TVA.
Inconditionnalité de l’AU. Certains lui opposeront la nécessité « morale » de demander une contrepartie sous forme de services rendus ou l’inutilité de la verser aux riches. Pourtant un système qui attribue un revenu à tous, même aux riches et aux fainéants aura, à efficacité donnée, un coût de mise en œuvre minimum pour lutter contre la pauvreté. Le labeur forcé que l’on exigerait des personnes les plus inaptes au travail risque de coûter plus cher en formation, structures, contrôles et contentieux que la somme allouée par l’AU. De plus la frontière entre la fainéantise et l’inadaptation maladive au travail est assez difficile à évaluer. L’AU étant versée à tous les membres de la société sans conditions ni formalités, il n’y a plus rien d’humiliant à la percevoir. Son taux de non recours sera minime, au contraire des aides actuelles qui ne sont versées qu’à ceux qui peuvent et savent les réclamer. De surcroit, dispositif central connu de tous, son coût d’information sera très faible. Enfin verser l’AU aux riches ne signifie pas qu’on leur fait un cadeau puisqu’il paieront sous forme d’impôts plus que la part reçue. En revanche cette inconditionnalité de l’AU permet à la société de manifester sa solidarité et sa reconnaissance envers ses bons élèves, à l’exact opposé de la « justice sociale » qui désigne les entrepreneurs et les créateurs de richesse comme des coupables qu’il faut punir.
Insaisissable, l’AUL ne doit pas pouvoir servir de caution à l’endettement pour éviter que certains de ses bénéficiaires ne se retrouvent dans une condition précaire. Elle a donc aussi une utilité pour les classes moyennes et supérieures qui y trouveront une garantie en cas de revers de fortune.
Distribuée sur une base Nationale l’AUL serait une prime au repeuplement des régions où la vie est la moins chère. Accordée aux personnes de nationalité française, l’AUL faciliterait l’intégration des immigrés qui devraient devenir français pour en bénéficier, donc adhérer explicitement aux valeurs de liberté du pays qui les accueille. L’AUL octroyée aux seuls français marquerait la fin du système actuel des aides prétendument ouvertes à tous mais qui s’accompagnent de miradors aux frontières pour éviter que tout le monde en profite.
Conclusion. L’allocation universelle est une prime aux emplois mal payés et au travail domestique. Elle rémunère le travail que nous faisons tous en consommant, en éduquant nos enfants, en tenant notre maison, en participant à la vie sociale. Elle favorise la mobilité et donne du pouvoir aux salariés face aux employeurs. Associée à une révision en profondeur du droit du travail elle constitue une forme de flexsécurité. Elle permet aussi aux millions de français exclus par le système social actuel de sortir de la trappe de la pauvreté avec de vraies perspectives.
L’allocation universelle entraine une réduction drastique des coûts administratifs, elle permet de passer d’un système complexe à prestations définies, à un système simple, respectueux de la liberté individuelle et basé uniquement sur les richesses produites.
Elle permet d’extraire le fonctionnement de l’aide sociale du champ politique et lui confère une vraie stabilité. L’AUL inaugure un système social mécaniquement sans déficit duquel les politiques ne tirent ni prestige ni reconnaissance.
L’allocation universelle devrait donc redonner aux français le goût d’entreprendre, de prendre des risques, en un mot les réconcilier avec l’économie de marché, créatrice des richesses et de la mécanisation qui seule la rend possible.
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