L’accord Verts/PS et l’énergie : une analyse

Publié le 20 novembre 2011 par Arnaudgossement

Ce samedi 19 novembre, le Conseil fédéral d’Europe Ecologie Les Verts a ratifié l’accord de législature, auparavant validé par le Bureau national du Parti socialiste. Analyse.

 

Vous pouvez télécharger le texte complet de l’accord EELV/PS ici.

Première lecture

L’honnêteté commande de dire que ma première lecture – politique - de cet accord ne m’avait pas convaincu, ni de son opportunité, ni de sa nécessité. J’avais en effet en mémoire les déclarations définitives d’Eva Joly, candidate écologiste à l’élection présidentielle de 2012, pour laquelle il n’était pas question de conclure le moindre accord avec le PS tant que certaines questions n’étaient pas réglées : décision claire de sortie du nucléaire, arrêt du chantier de l’EPR de Flamanville, arrêt du chantier de l’aéroport de Notre Dame des Landes. Or, ces questions n’ont pas été réglées mais un accord fut tout de même conclu. Ce n’est toutefois pas pour ce motif que le texte apparaissait décevant.

En premier lieu, le texte ne comporte que deux pages assez maigres sur la réforme des institutions et la gouvernance, logées tout au bout du texte, juste avant une conclusion elle-même assez courte. L’accord ne comprend aucune indication précise sur la manière exacte de loger l’écologie à la racine de toutes les politiques publiques. Certes une réforme de la gouvernance de l’énergie est annoncée mais son contenu n’est pas présenté. La réforme des processus de décision, la manière d’assurer la participation du public et la conciliation des caractères représentatif et participatif de notre démocratie sont des questions essentielles. De même, il manque une réflexion de fond sur la production du droit de l’environnement au niveau de l’Union européenne : rappelons que l’essentiel des règles qui composent notre code de l’environnement sont, en réalité, européennes.

En second lieu, sans trop forcer le trait, le texte est rédigé en forme d’auberge espagnole : chacun peut y lire ce qu’il a envie d’y lire. Il en va ainsi de la phrase devenue la plus connue de cet accord :

« Un plan d’évolution du parc nucléaire existant prévoyant la réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de 24 réacteurs, en commençant par l’arrêt immédiat de Fessenheim et ensuite des installations les plus vulnérables, par leur situation en zone sismique ou d’inondation, leur ancienneté et le coût des travaux nécessaires pour assurer la sécurité maximale. Cette évolution intégrera les évaluations de l’ASN et de l’IRSN ainsi que le nécessaire équilibre offre-demande ».

Certes, la première phrase s’inscrit dans un accord de législature mais à la lire seule, force est de constater que l’annonce d’une fermeture progressive des 24 réacteurs n’est pas enserrée dans un calendrier. Par voie de conséquence, la date de mise à l’arrêt des réacteurs n’est pas évoquée. Par ailleurs, la deuxième phrase est susceptible de contrebalancer la première : « Cette évolution intégrera les évaluations de l’ASN et de l’IRSN ainsi que le nécessaire équilibre offre-demande ». Les partisans de l’atome au sein du parti socialiste, dont certains sont fort proches du candidat désigné à la présidentielle, n’auront pas de peine à se prévaloir de ce fameux équilibre « offre-demande » pour demander une modulation, y compris dans le temps, du « plan d’évolution » du parc nucléaire.

En troisième lieu, la tentative de réduire cet accord à un accord de législature qui n’engagerait pas les deux parties dans leurs parcours d’ici à l’élection présidentielle relève de l’équilibrisme. On voit mal comment deux partis peuvent, intellectuellement, dissocier leur programme pour ces deux élections. Depuis l’institution du quinquennat, les élections du président de la république et des députés sont couplées. Le Président de la République est bien le chef de la majorité. Son programme est bien celui de sa majorité. Dès lors, il est étrange de conclure un accord qui vaudrait – en cas de victoire - pour la majorité parlementaire socialiste et non pour le Président de la République pourtant issu du même parti. La candidature d’Eva Joly devra gérer cette épineuse problématique.

En quatrième lieu, s’agissant spécifiquement du dossier énergie, l’accord évite ce qui est pourtant une question fondamentale : l’ouverture à la concurrence du marché. Notre politique énergétique n’est en effet pas compatible avec les exigences du droit de l’Union européenne comme vient de le rappeler, le 18 octobre dernier, le commissaire européen à l’énergie. Notre organisation actuelle est contraire au principe d’ouverture à la concurrence et n’encourage pas assez nos grands groupes à préparer l’avenir. Notre organisation assimile encore très largement les notions de « service public de l’électricité » et de « monopole ». Or, pour le droit de l’Union européenne, le service public peut être assuré sans monopole, ce qui suscite une grande résistance intellectuelle, dans notre pays, tant de la droite que de la gauche.

Il est nécessaire que nos responsables politiques prennent position sur ce sujet. Au demeurant, cela suppose de commencer par poser correctement le débat : la question n’est en effet pas de porter atteinte aux grands opérateurs comme EDF ou GDF Suez mais bien d’assurer leur avenir en leur permettant dès maintenant de prendre le virage des énergies de demain : économies et renouvelables. Un nouveau pacte économique pourrait être utilement noué entre ces groupes et les PME, dont certaines sont leurs filiales, pour que l’ouverture à la concurrence ne soit pas synonyme de guerre mais d’émulation, de stimulation, d’innovation, dans l’intérêt des consommateurs, des salariés et de l’environnement. L’enjeu n’est pas d’affaiblir qui que ce soit, ce compris EDF, mais bien de contribuer à l’essor d’une nouvelle économie.

Deuxième lecture

En réalité, le parti écologiste, depuis la création d’Europe Ecologie en 2009, est devenu pragmatique et recherche désormais l’exercice des responsabilités de préférence à la pureté des idées. L’auteur de ces lignes ne lui en fera pas le reproche. Paradoxalement si la ligne « pragmatique » de Nicolas Hulot ne lui a pas permis de gagner la primaire du parti écologiste face à Eva Joly, tenante d’une ligne «radicale », les idées du premier viennent de triompher. L’animateur d’Ushuaia n’a pas été désigné mais ses idées ont prospéré. Elles ont été en réalité reprises par l’actuelle direction d’EELV qui est en train, pierre après pierre, de construire un parti de gouvernement et de quitter les rives d’un parti de protestation. Dans ce contexte, l’accord de législature négocié avec le parti socialiste n’est pas un idéal, mais – et cela est sans doute préférable – un levier de changement, une grille de lecture des choix opérés par la gauche, si elle accède aux responsabilités.

Pragmatisme

Des preuves de ce pragmatisme ? Il en existe au moins trois au sein de l’accord.

En premier lieu, Le recours à l’expression « développement durable » dans la rédaction de l’accord. C’est ainsi que l’on peut lire :

« Nous proposons une autre démarche fondée sur l'innovation et la qualité, seul chemin pour un développement durable et riche en emplois ».

En fixant le développement durable pour objectif, l’écologique politique vient de franchir une étape essentielle de son histoire en faisant le choix d’une écologie anthropocentriste, humaniste. En quittant les débats interminables et assez vains sur la décroissance ou le malthusianisme également.

En second lieu, l’accord propose une autre approche de la croissance :

« C'est pourquoi, sur la base du rapport de la Commission Stiglitz, nous établirons un nouvel indicateur de développement humain. Outre les critères économiques traditionnels d'évaluation du PIB, il mesurera la cohésion sociale (inégalités de revenus, accès au logement et à la santé, services publics), d'émancipation individuelle (accès aux études supérieures) et de préservation écologique (recyclage des déchets, qualité de l'air et de l'eau) ».

Paradoxalement, la Commission Stiglitz avait été convoquée par l’actuel Chef de l’Etat et ses conclusions avaient également été accueillies favorablement par nombre de ministres de l’actuelle majorité. Ce qui démontre que l’écologie peut aussi transcender le clivage droite-gauche.

En troisième lieu, la position sur le Grenelle échappe aux caricatures et je m’en réjouis. Plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain, les rédacteurs de l’accord ont fait le choix utile de distinguer le processus lui-même des résultats passés de ce processus :

« Les conclusions pertinentes du Grenelle, édulcorées ou sabotées par les gouvernements UMP successifs, feront l'objet d'une mise en œuvre effective. La « gouvernance à 5 » sera étendue à la gestion d’organismes chargés de la protection environnementale (éco-emballages, etc.) »

Je ne partage pas complètement l’idée que le Gouvernement actuel est seul responsable des pertes en ligne du Grenelle. Toutefois, je partage l’idée que la relance de la dynamique du Grenelle suppose certainement une extension de la gouvernance à 5.

Nucléaire : l’infléchissement

Certes, l’accord EELV/PS ne prévoit pas une décision claire de sortie du nucléaire qui rende le processus tout à fait irréversible à l’image de la décision prise par les autorités allemandes. Pourtant,  l’accord EELV/PS témoigne d’un infléchissement notable de la doctrine du parti socialiste, jusqu’à présent favorable à l’énergie nucléaire. L’affaiblissement du parti communiste, la catastrophe de Fukushima, la décision allemande ont été autant de facteurs qui ont amené les responsables de ce parti a évoluer. L’accord conclu avec les Europe Ecologie/Les Verts le démontre. La politique des petits pas étant souvent bien plus efficace, la décision de réduire la part du nucléaire et de ne plus mettre en service aucun nouveau réacteur augure d’un changement majeur dans notre politique énergétique.

Très concrètement, l’accord doit constituer un levier de changement, tant vis-à-vis de la gauche mais aussi vis-à-vis de la droite. L’actuelle majorité – l’exemple allemand le démontre – ne peut indéfiniment rester cramponnée au nucléaire. Certes, un débat a lieu au sein de la majorité entre les tenants d’un renforcement de la capacité nucléaire de la France – grâce notamment aux EPR de Flamanville et de Penly – et ceux, au centre droit, qui souhaitent un rééquilibrage entre nucléaire et renouvelables. Le débat a lieu mais il mériterait d’être amplifié car les partisans d’une réduction de la part du nucléaire votent aussi à droite.

Energies renouvelables : une remise à plat

Voici ce que dit l’accord s’agissant des énergies renouvelables :

« Nous assurerons la montée en puissance des énergies renouvelables sans exclusive

Le régime de soutien aux énergies renouvelables sera remis à plat (régime administratif, tarifs et conditions d’achat, autres systèmes de soutiens, droit et moyen de participation citoyenne à l’investissement, etc.) pour soutenir leur développement et la R&D des technologies les plus prometteuses (éolien offshore flottant, photovoltaïque de troisième génération, agrocarburants à base d’algues, etc.) et pour inciter au déploiement des ENR,  proches de la compétitivité. Nous accélèrerons la recherche sur le stockage de l’électricité

La recherche publique (notamment l’activité du CEAEA) sera réorientée prioritairement vers l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, leur intégration dans le réseau et les moyens de stockage, ainsi que vers la maîtrise du risque nucléaire (sûreté, déchets, démantèlement).

Nous réexaminerons les conditions de gouvernance du secteur énergétique. Le secteur de l'énergie reviendra au sein du grand ministère du développement durable. Un bilan exhaustif des réformes nationales et européennes sur la libéralisation du secteur sera tiré afin d’en corriger les défauts au vu de nos objectifs de politique énergétique. Les réseaux de transport et de distribution, séparés des activités de production et commercialisation, seront gardés sous maîtrise publique. Leur évolution vers des réseaux plus intelligents sera encouragée sous tous ses aspects pour améliorer les services délivrés, maîtriser les coûts, intégrer une part croissante d’ENR et optimiser l’équilibre offre-demande aux différentes échelles. Il s’agira aussi de décentraliser en donnant un réel pouvoir aux autorités locales et territoriales et favoriser les stratégies et politiques locales de l'énergie ».

Ma conviction depuis longtemps est que les opposants aux énergies renouvelables se sont servis du droit et du code de l’environnement pour les étouffer. Le fait que l’accord aborde la question des renouvelables par l’annonce d’une « remise à plat » du régime administratif propre à la production des énergies vertes est une excellente chose car il démontre que le diagnostic de départ est le bon. Oui, trois fois, oui, il faut clairement supprimer le cadre juridique actuel, qui ne répond à aucun des enjeux des renouvelables. Le classement ICPE des éoliennes, la multiplication des appels d’offres pour le solaire sont des exemples de décisions incohérentes à effacer. De même, réfléchir vraiment à la création d’un autre réseau de distribution et de transport d’électricité et à la décentralisation des choix publics en matière d’énergie est un chantier prioritaire.

En conclusion et pour les motifs qui viennent d'être évoqués, cet accord représente un progrès. Reste que je suis convaincu que, pour aller plus loin, il faut sortir de l’actuel clivage droite /gauche et ne pas lier le destin de l’écologie politique à celui du parti socialiste. Certes, du point de vue électoral, il y aura toujours, même avec davantage de proportionnelle, une droite et une gauche sur les bancs de l’assemblée. Toutefois, du point de vue intellectuel, les grands débats de notre époque transcendent tout à fait ce clivage et les logiciels des actuels partis de la majorité et de l’opposition sont usés. Il en va ainsi sur le thème de la construction européenne et de l’écologie, les deux étant totalement liés.

Dans le contexte de crise majeure que nous vivons, une nouvelle majorité d’idées est sans doute urgente.