Bravo Jeandler et Gilles D. Bien sûr, Le bateau ivre! Navire fou au coeur de chacun d'entre nous, dérivant au gré de nos libertés assumées.
Rimbaud rejoint en septembre 1871, Verlaine à Paris avec ce long poème, le "Bateau ivre", qu'il va réciter au cénacle parnassien. L'accueil est enthousiaste !
assis à gauche : Paul Verlaine et Arthur Rimbaud
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
...Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Cette allégorie de la révolte qu'est le "Bateau ivre" fonctionne simultanément sur le plan psychologique (rupture avec la docilité et la naïveté de l'enfance), littéraire (invention d'une poésie nouvelle) et politique (rupture avec le Vieux Monde, symbolisé par « l’Europe aux anciens parapets »). Sous ce dernier aspect, le poème de l'été 1871 qu'est le "Bateau ivre" peut être considéré comme un tombeau de la Commune. Le poète suggère cette hypothèse en plaçant à un endroit stratégique, à l'extrême fin de son texte, une évocation des "yeux horribles des pontons". On sait en effet qu'au lendemain de la semaine sanglante (21-28 mai 1871), ceux qui n’avaient pas été fusillés par les Versaillais furent entassés dans ces prisons flottantes qu’étaient les "pontons". En terminant son texte sur cette allusion très politique, Rimbaud ne laisse aucun doute sur sa volonté d’en éclairer le texte tout entier. Le bateau, dont le vers 41 nous dit qu’il a « suivi, des mois pleins, […] la houle à l’assaut des récifs », représente bien ce jeune communard que fut Rimbaud, spectateur probablement passif (verbe « suivre ») mais enthousiaste de l’épisode révolutionnaire, lequel épisode révolutionnaire trouve sa métaphore dans l'océan furieux.
éclairage emprunté ici