Au rang des bonnes surprises de ces dernières semaines, à la télévision anglaise, c'est Channel 4 qui s'est agréablement démarquée en proposant une très intéressante série, Top Boy, traitant de thématiques liées aux gangs et au trafic de drogue. Sans ambitionner d'atteindre les fictions de référence du genre avec lesquelles le sériephile dresse automatiquement des parallèles (The Corner, The Wire), elle s'impose comme une solide chronique humaine, dont la sobriété et la consistance méritent assurément le détour.
Créée et écrite par l'écrivain nord-irlandais Ronan Bennett, sa première saison, comportant quatre épisodes de 45 minutes environ, a été diffusée sur une semaine, du 31 au 3 novembre 2011 sur Channel 4. La bonne nouvelle, c'est qu'une seconde saison a d'ores et déjà été commandée.
Se déroulant dans le quartier fictif de Summerhouse, dans l'Est londonien, Top Boy suit une galerie de personnages dont la vie va se retrouver liée, directement ou indirectement, aux trafics de drogue et aux gangs qui sévissent dans ces barres d'immeubles.
La série se concentre tout particulièrement sur le jeune Ra'Nell, adolescent de 13 ans. Il est confronté à une situation familiale difficile : un père absent, une mère qui souffre de problèmes psychologiques agravés par une dépression. Cette dernière est hospitalisée au début de la saison, laissant son fils se débrouiller avec l'aide de connaissances, telle une voisine qui fait pousser de la marijuana dans un appartement. A un âge où les tentations et le besoin d'argent se font plus pressants, Ra'Nell et son meilleur ami, Gem, sont également invités par le chef de gang local, Dushane, à rejoindre leur bande qui écoule leur stock de drogue dans le quartier. Mais ce dernier est confronté aux attaques répétées d'un autre gang, conduit par Kamale. Si la rivalité débute par des vols de plus en plus importants, les tensions s'exacerbent rapidement. Les choses vont peu à peu dégénérer, les codes de la rue s'effaçant derrière la réalité de rapports de force simplement dictés par les poings, mais aussi les revolver.
Le premier intérêt de la série réside dans son sujet principal. Top Boy opte pour une approche classique des thématiques liées aux gangs et aux trafics qui en découlent. Nous immergeant dans ce milieu à travers le parcours d'un duo d'associés qui entendent s'y imposer, elle va dépeindre sans complaisance, mais non sans habileté et nuances, les rapports de force constants et les formes d'auto-régulation qui le régissent. A défaut de réelle originalité, la série se démarque par son souci d'authenticité et de réalisme. Si les affrontements apparaissent rapidement inévitables, trop d'ambitions personnelles se heurtant les unes aux autres, c'est avec une retenue intéressant qu'elle va relater les évènements, en évitant de tomber dans les excès du genre.
En effet, se déroulant à l'échelle relativement modeste du quartier de Summerhouse, Top Boy met en scène des bandes qui évoluent au bas de la hiérarchie criminelle : il s'agit d'une zone laissée aux prises d'initiative de chacun. La série a ainsi l'intelligence de décrire un basculement progressif dans une violence dans laquelle les protagonistes perdent peu à peu leurs repères ; comme un déclic, le premier seuil franchit, la fin semble alors justifier tous les moyens. Cette construction narrative permet à la fiction de bâtir une tension de plus en plus palpable, décrivant une logique de radicalisation de l'action qui suit un engrenage létal devenu inévitable. Dotée d'un scénario solide, même s'il reste prévisible, Top Boy atteint logiquement son plein potentiel au cours de son dernier épisode qui représente l'apogée et l'aboutissement logique de toute l'évolution de cette première saison.
Au-delà de cette toile de fond entre drogues et gangs, Top Boy demeure également une chronique sociale et humaine, dont le caractère choral renforce l'impression d'authenticité qui émane du récit. En effet, l'histoire se bâtit à partir de ses personnages. Chaque scène a vocation à s'emboîter dans un tableau d'ensemble plus large qui apparaît au final comme un instantané de ce quartier de Summerhouse. La caméra paraît ainsi s'effacer derrière la galerie de portraits dépeints ; cette mise en scène, volontairement en retrait, rapproche la série d'un style quasi-documentaire dans lequel elle va trouver sa tonalité propre et son équilibre.
Au sein de ses protagonistes, Top Boy opère une distribution des rôles qui ne recherche pas l'originalité, mais reste logique et solide. Si la saison est brève, la série va prendre le temps de développer ses principales figures, leur permettant de gagner en épaisseur. Ra'Nell restera le repère du téléspectateur : adolescent obéissant, il ne peut cependant complètement demeurer imperméable à ce qui se trame dans le quartier, entraîné dans ces trafics. Parallèlement, l'épopée de Dushane et Sully offre un penant plus violent au récit, reflet de ce que Ra'Nell peut devenir dans une dizaine d'années, suivant les choix qu'il fera. La radicalisation progressive de leurs actions pour servir leurs ambitions, mais aussi l'antagonisme que leurs différences de style éveillent, sont autant d'éléments qui nuancent et précisent leurs rapports. Sully est celui qui, une fois les codes traditionnels de la rue brisés, va se révéler le plus instable, éclairant tant la dangerosité que la volatilité de cette zone de semi non-droit qu'est Summerhouse. L'ensemble forme ainsi une assise humaine consistante et nuancée sur laquelle Top Boy va pouvoir s'appuyer.
Par ailleurs, il convient de saluer le soin apporté à la forme par Top Boy. La série se révèle particulièrement aboutie, méritant amplement le détour pour sa réalisation. La photographie, très travaillée, jouant habilement sur la saturation des couleurs et les teintes au gré des différentes scènes, est vrai un plaisir pour les yeux. La caméra, fébrile dans l'action, sait aussi se poser et offrir de superbes plans larges qui vont mettre en valeur, tant les décors que les différents personnages. Privilégiant l'authenticité et la sobriété, la bande-son reste opportunément très en retrait, faisant intervenir des instrumentaux plus nerveux lorsque la tension monte.
Enfin, Top Boy bénéficie d'un très solide casting, dont l'homogénéité est une des forces. Il permet d'asseoir la légitimité de la série dans son ambition de chronique sociale et humaine. Les acteurs sont parfaitement au diapason de la tonalité de la série et renforcent l'impression de réalisme qui émane de l'ensemble. On y retrouve notamment Ashley Walters (Outcasts, Five Days), Kane Robinson, Malcolm Kamulete, Kierston Wareing (Luther, The Shadow Line), Geoff Bell, Sharon Duncan Brewster, Nicholas Pinnock, Giacomo Mancini ou encore Shone Romulus.
Bilan : Proposant une immersion brute dans l'envers d'un quartier au quotidien rythmé par ses gangs et ses trafics, Top Boy opte pour une approche aussi classique que solide de ses diverses thématiques. Si on peut regretter qu'elle reste parfois trop en surface des problématiques esquissées (mais sa saison 1 ne comporte que 4 épisodes), la série bénéficie d'une écriture sincère et directe qui confère à l'ensemble une tonalité très authentique. Sa grande force réside dans sa faculté à mettre en scène une galerie de portraits qui sonnent juste et ne laissent pas indifférent. A découvrir.
NOTE : 7,5/10
La bande-annonce de la série :