La naissance de l'image a partie liée avec la mort. Mais si l'image archaïque jaillit des tombeaux, c'est en refus du néant et pour prolonger la vie.
Régis DEBRAY
Vie et mort de l'image,
Paris, Gallimard,1992,
p. 16
Si l'imakhou Metchetchi n'a pas suscité pléthore de commentaires comme ce fut récemment le cas pour les "nageuses nues", ce retour annoncé devant la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre m'a valu, depuis mardi dernier, un record de fréquentation peu commun et une petite dizaine de nouvelles inscriptions d'abonnement : les voies du seigneur EgyptoMusée me sont décidément impénétrables !
Ceci posé, merci et toujours bienvenue à vous, anciens et nouveaux amis lecteurs, qui prenez apparemment plaisir à m'accompagner ainsi dans cet ancien Palais des rois de France devenu celui, inépuisable, de l'Art en général et, pour ce qui nous concerne plus spécifiquement, de celui de la civilisation des rives du Nil.
Comme prévu, j'envisage ce matin de terminer l'introduction que je tenais à vous proposer avant de véritablement nous pencher sur les différents fragments peints arrachés au XIXème siècle par des "visiteurs" fort peu scrupuleux aux parois du mastaba de ce haut fonctionnaire à la cour du roi Ounas,dont le nom presque complet - il manque le "i" final -, est bien en évidence sur le fragment (E 25546) ci-après.
La "maigre" production picturale s'étendant devant nous - quelque quarante morceaux
seulement d'un puzzle dont on ignore complètement ce que sont devenus tous les autres, sauf, peut-être, des collectionneurs particuliers qui se garderont bien de s'en prévaloir ! -,
ressortit, vous le constaterez dans les prochaines semaines, à deux thèmes principaux : les rites absolument indispensables à tout défunt pour que son culte funéraire soit assuré et la réception
des différentes et nombreuses offrandes qui lui permettront non seulement d'agrémenter sa seconde vie mais, aussi, d'y subsister ; apports essentiellement alimentaires donc, mais pas
uniquement, provenant surtout de ses domaines dont on lui voit inspecter la bonne tenue qu'y maintient son personnel, agriculteurs tout autant qu'artisans.
Quelques autres scènes, toutefois, complèteront harmonieusement l'ensemble en mettant par exemple l'accent sur les loisirs qui furent siens ici-bas, notamment la musique et l'un ou l'autre jeu de société ; plaisirs dont, par la magie de l'image, Metchetchi espérait bénéficier dans l'Au-delà. Sans compter qu'eux aussi sont empreints de certains symboles que nous rencontrerons et décoderons au fil de nos entrevues.
Car, et j'ai à maintes reprises déjà eu l'opportunité de vous l'indiquer, l'iconographie funéraire égyptienne est loin d'être gratuite, loin d'être simplement décorative. En fait, parce qu'essentiellement religieuse, elle connote une finalité spécifique : permettre au trépassé, quel que soit son habitus, quel que soit son déterminisme social, non seulement de se prévoir une seconde vie la plus agréable possible mais, aussi - et surtout ? - de ne pas sombrer dans un oubli post-mortem qui lui serait "fatal". Elle fait intégralement partie, avec tout le rituel de l'embaumement sur lequel je me suis déjà longuement expliqué voici près d'un an, avec le mobilier funéraire aussi, de ce souci prépondérant pour tout défunt de bénéficier de ce que les textes nomment un "bel enterrement" de manière à assurer sa survie dans la tombe, à espérer - nous l'avons, souvenez-vous, notamment constaté avec les cuillers ornées -, une régénération inévitablement attendue.
Si prononcer son nom lui permettait d'être assuré du souvenir qu'il laisserait dans la mémoire des vivants, se donner à voir dans son quotidien grâce aux scènes qu'il avait fait graver ou peindre dans sa chapelle ou sa chambre sépulcrale, procédait du même état d'esprit.
Par nature performative - au sens qu'a popularisé le philosophe anglais John L. Austin lors de plusieurs conférences colligées, après sa mort prématurée, en un petit ouvrage remarquable How to do things with words, publié en 1970 sous le titre français Quand dire, c'est faire (Editions du Seuil, collection Points Essais n° 285) -, à savoir : en elle-même détentrice de ce qu'elle désigne, de ce qu'elle représente, l'image funéraire égyptienne détient magiquement le pouvoir de permettre au défunt de connaître là-bas, dans les champs d'Ialou, une existence souhaitée encore meilleure que celle du privilégié qu'il fut ici-bas.
En guise de préambule au premier chapitre - symptomatiquement intitulé La naissance par la mort - d'une histoire du regard en Occident, Vie et mort de l'image, Régis Debray écrit cette phrase que j'ai choisie en guise d'incipit ce matin : La naissance de l'image a partie liée avec la mort. Mais si l'image archaïque jaillit des tombeaux, c'est en refus du néant et pour prolonger la vie.
C'est précisément cette assertion fondamentale qu'avec les fragments peints du mastaba de Metchetchi j'aimerais abondamment illustrer. Mais au préalable, lors de notre prochain rendez-vous de début de semaine, le 22 novembre, ainsi que des deux qui suivront, je vous invite à découvrir ce que, techniquement parlant, ces peintures représentent.
A mardi ?