[Europe - Droits de l'homme] La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l’Homme ? – Le Taurillon, magazine eurocitoyen

Publié le 18 novembre 2011 par Yes

Le mandat du président français de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Jean-Paul Costa, a pris fin le 3 novembre dernier. Le juge britannique à la Cour, Sir Nicolas Bratza, vient de prendre ses nouvelles fonctions de président après avoir été élu par ses pairs. Jusqu’à présent, la politique de la Cour avait permis d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme en Europe, tout en respectant les identités de chacun des Etats. Or, son nouveau président provient d’une élite britannique de plus en plus réticente à accepter l’influence de la Cour.

Crédit photo : – Cour européenne des Droits de l’Homme

La Cour européenne des Droits de l’Homme est née en 1959, quelques dix ans après la création du Conseil de l’Europe et l’adoption de la Convention européenne des Droits de l’Homme, le 4 novembre 1950. En cinquante ans d’existence, elle a rendu des décisions dans plus de 10 000 affaires, s’est étendue à 47 Etats européens et bénéficie d’une notoriété croissante, auprès des spécialistes comme des particuliers.

Basée à Strasbourg, elle est en mesure de condamner tout Etat membre qui violerait la Convention européenne des Droits de l’Homme, à la demande d’un justiciable ou d’une ONG. Elle a ainsi condamné la France à de nombreuses reprises pour sa politique pénitentiaire et les traitements dégradants que subissaient certains détenus ; elle n’a pas non plus été étrangère à la réforme très médiatisée de la garde à vue en France.

Des pays comme la Russie, la Turquie et l’Italie ont également fait l’objet de très nombreuses condamnations pour violation de la liberté d’expression, atteinte à la vie privée, procès non équitable. Les décisions mesurées de la Cour de Strasbourg ont donc influencé un grand nombre de lois touchant aux libertés publiques en Europe.

Le risque d’une double présidence britannique

Nicolas Bratza a effectué l’essentiel de sa carrière au Royaume-Uni, d’abord en tant qu’avocat puis en tant que juge. Il avait notamment défendu le gouvernement britannique devant la Cour européenne des Droits de l’Homme en 1981, lors d’une affaire dans laquelle un particulier avait contesté une législation réprimant certains rapports homosexuels entre adultes consentants, en Irlande du Nord.

Outre la présidence de la Cour de Strasbourg, le Royaume-Uni préside, depuis le 1er novembre dernier et pour six mois, le Conseil de l’Europe – dont la Cour fait partie intégrante. Or, le gouvernement britannique a d’ores et déjà averti ses partenaires européens qu’il pèserait en faveur d’une reprise en main de la protection des droits de l’homme par les Etats. Parmi ses priorités figure clairement la diminution du rôle de la Cour européenne, pour n’en faire qu’un organe subsidiaire, simple supplétif des juges nationaux.

Cette politique nationaliste fait écho aux récentes condamnations de l’Angleterre par les juges de Strasbourg, considérées comme une atteinte flagrante à sa souveraineté nationale. En 2005, la condamnation des Britanniques pour avoir refusé le droit de vote à un détenu condamné pour homicide a été l’élément déclencheur d’une longue série de critiques, de la part des hommes politiques et juristes anglais.

Le 10 novembre dernier, un juge de la Cour suprême anglaise, Jonathan Sumption, considérait que la Cour de Strasbourg n’avait aucune considération pour la démocratie [1]. Quelques semaines auparavant, le premier magistrat d’Angleterre avait également suggéré que les politiques britanniques ne devraient pas systématiquement se soumettre aux décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme [2]. Les médias britanniques ont quant à eux des positionnements ambigus, notamment par certaines interprétations alarmistes des décisions de la Cour de Strasbourg.

Avec la présidence britannique de la Cour européenne et du Conseil de l’Europe, il n’est pas impossible que le fonctionnement harmonieux de la Cour et sa politique conciliatrice et cohérente ne soient remises en cause par les velléités souverainistes des élites britanniques. Alors que les juges de Strasbourg étaient parvenus à faire appliquer la Convention tout en respectant la souveraineté et les particularités de chaque Etat, son influence positive en Europe pourrait connaître un affaiblissement sérieux.

Après cinquante ans d’activité, la Convention européenne des Droits de l’Homme est parvenue à acquérir une légitimité propre et à se positionner dans le paysage européen comme un dernier recours pour les justiciables. Elle est la preuve concrète que l’Europe des Droits existe bel et bien. Bien que ses décisions suscitent régulièrement des levées de boucliers de la part des Etats condamnés, rares sont les dirigeants qui vont jusqu’à remettre en cause les fondements de son fonctionnement.

S’il est difficile de prévoir si la Cour de Strasbourg va modifier sa politique sous l’influence d’un président britannique, les inquiétudes demeurent. La politique britannique aurait des conséquences désastreuses si les dirigeants anglais parvenaient à réduire les pouvoirs d’une Cour dont les décisions protectrices des libertés publiques bénéficient aujourd’hui à 800 millions d’Européens.

La politique du Royaume-Uni va-t-elle paralyser la Cour européenne des Droits de l’Homme ? – Le Taurillon, magazine eurocitoyen.