Un dangereux remue-ménage s’est installé au cœur du transport aérien indien. Il s’agit d’un marché en forte expansion, qui connaît un taux de progression à 2 chiffres mais n’en suscite pas moins de cruelles déceptions et la descente aux enfers de Kingfisher Airlines. Cette dernière a par ailleurs fermé Kingfisher Red, low cost «pure player» dont la situation était devenue catastrophique.
Sa maison-mère appartient au puissant groupe United Brewers. Une originalité dans la mesure où, comme son nom l’indique, il s’agit d’un groupe de brasseurs qui détient la moitié environ d’un marché à la mesure de l’immense population du pays tout en appliquant une stratégie qui rappelle la mode des conglomérats qui avait envahi les Etats-Unis, il y a quelques décennies. A savoir une addition d’activités sans rapport les unes avec les autres et ne se prêtant pas, de ce fait, à des synergies et moins encore à des économies d’échelle.
La tentation est grande d’en conclure qu’un entrepreneur, dans l’acception anglo-saxonne du terme, ne peut se lancer impunément dans le transport aérien. Lequel repose sur une spécificité que l’on est enclin à qualifier de culturelle, dont les codes sont difficiles à percer, et qui se contente généralement d’une rentabilité médiocre, même quand tout va bien.
Vijay Mallya, président de Kingfisher Airlines, le découvre à ses dépens. Créée il y a 6 ans, la compagnie n’a jamais équilibré ses comptes, une situation qui résulte notamment de la guerre tarifaire qui sévit sur le marché intérieur indien. Un doigt accusateur est pointé en direction d’Air India, compagnie étatique, mais rien ne prouve qu’elle soit vraiment à l’origine de la coûteuse pagaille actuelle, l’autre bouc émissaire étant le pétrole, trop cher. Mais, sur ce plan, tout le monde est logé à la même enseigne. Reste le fait que Kingfisher se bat pour sa survie, annule de nombreux vols, appelle de tous ses vœux une aide gouvernementale en même temps qu’un effort de la part de ses banques. Tout cela incite inévitablement au pessimisme noir.
On devine l’étonnement et l’incompréhension de Vijay Mallya. Il a certainement lu, épluché, décortiqué, des études de marché qui ont conduit United Breweries à se lancer dans l’aérien. L’Inde, lui ont certainement dit les auteurs de ces documents, dépassera un jour la Chine en termes de population, le revenu par habitant est en forte hausse, les besoins en transports sont considérables, le transport aérien peut y répondre efficacement. Dès lors, Air India, Jet Airways et quelques outsiders feront logiquement une place à un nouveau venu. Un raisonnement encouragé par la formule low cost et les perspectives offertes par les petits prix. Bien sûr, rien n’était faux dans cette analyse mais elle était simpliste.
La preuve en est donnée, si besoin est, par l’éventualité d’un renoncement pur et simple aux bas tarifs. Déjà, Kingsfisher Red a été fermée et, à présent, la priorité devrait être donnée au trafic à haute contribution. C’est une volte-face étonnante qui révèle de bien fragiles convictions commerciales et un vrai désarroi. Pire, cette manière de faire rappelle les erreurs commises par d’ambitieux entrepreneurs américains dès l’instauration de la déréglementation, fin 1978. Les People Express et autres New York Air, à peine en place, ont suscité la sympathie d’une clientèle nouvelle mais ont échoué par méconnaissance du contexte aérien. Même dans le monde de particulier de l‘aviation, il n’est pas possible de vendre un produit en-dessous de son prix de revient : on ose à peine rappeler cette évidence triviale, même si elle s’applique aussi aux canettes de bière. Tout cela est regrettable et, à y bien réfléchir, pas très sérieux.
Pierre Sparaco - AeroMorning