Ambiance bonne enfant lors d'une «battle de sape». Des compétiteurs des deux capitales congolaises se sont affrontés lors d'un concours d'élégance vestimentaire. Objectif: avoir du style. Et le faire savoir.
Un mannequin lors d'un défilé de mode à Johannesburg, Afrique du Sud, le 25 septembre 2011. REUTERS/Siphiwe Sibeko
19h30. Halle de la Gombe. Dans ce centre culturel de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, quelques centaines de spectateurs attendent dans les gradins, sur les chaises, ou debout. Ils sont de tous âges, de toutes les couleurs de peaux et de tous styles.
La Sape, une religion
«Pardonne à ceux qui ne savent pas que la Sape, c’est une religion!», lance une voix off grave et profonde interpellant le «dieu» de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (Sape).
«Nous sommes les vrais adorateurs de la Sape! Nous sommes les vrais descendants valables de Stervos Niarcos», poursuit la voix off sur le même timbre. Si le célèbre chanteur Papa Wemba est considéré comme un grand ambassadeur de la Sape dans l’ex-colonie belge, le musicien Stervos Niarcos avait fondé la religion «kitendi» (l’habillement, en lingala), avant de mourir en 1995 dans une prison française, où il était détenu pour une affaire de stupéfiants.
Derrière le podium de bois en forme de T, des photos et vidéos sont rétro-projetées. On y voit des sapeurs, ces rois de la joute vestimentaire, exposer en pleine rue des vêtements griffés qu’ils portent ou qu’ils sortent de leurs valises. D’autres portent de la fourrure malgré une chaleur qu’on devine écrasante. Place au live: deux jeunes hommes arrivent en musique. L’un d’eux porte un pantalon, mais pour un court moment. Il le tombe pour dévoiler un short et un collant rayé.
Défilé de couleur
Après quelques minutes, l’un dévoile le drapeau du Congo-Brazzaville et l’autre de la République démocratique du Congo. L’homme en short saute dans le pantalon deux-places de son confrère, et ils regagnent les coulisses en sautant à pieds joints comme dans une course en sac. C’est le signe que le «battle» sera bon enfant. Pas de trophée à gagner, l’important est de participer, de donner du plaisir, et d’en prendre. D’autant que l’assistance semble surtout s’intéresser au défilé de couleurs, textiles, chaussures, cravates et autres accessoires.
Elle est servie. Un sapeur habillé d’une redingote noire et d’un bermuda blanc fait son apparition en se trémoussant, puis se met à taper du pied avec défiance, le corps droit et raide, un peu comme un danseur de flamenco. Impossible de rater ses chaussettes dépareillées. Objectif atteint. Autre style: un confrère au chapeau noir et à la cravate rouge révèle une chemise vert émeraude, avant d’enlever une chaussure pour montrer que ses chaussettes étaient elles aussi du même vert vif.
«Sans Papier! Sans Papier!» crient quelques spectateurs. Pour ce sapeur, pas de vêtements de grands créateurs, tant prisés. Il porte une veste et un bermuda en papier. Plus tard, un homme fait son entrée dans un blouson à capuche imitant la laine du mouton. Cigare à la bouche, il mime le tremblement: rien à voir avec la grippe aviaire, il veut simplement dire qu’en Europe, il fait froid. Il se réchauffe en tapant du pied, soulevant un léger nuage de poussière.
Un groupe de sapeurs, dont une femme, se succèdent sur le podium et animent une farandole de tissus, de couleurs, où les kilts écossais tutoient des jupes pour hommes et des costumes. Déroutant?
«Parmi nous, il y en a qui s’habillent mal, mal! Oui, mêler les couleurs, c’est une qualité que nul ne peut avoir sinon quelqu’un de parisien, que je suis», commentera la voix off, comme pour prévenir toute critique.
Les «vieux papas», et les autres
L’un des «vieux papas» du show, le pas lent, approche du bout du podium. Il pose sa chaise, s’assoit sans un mot, le visage légèrement tourné vers les étoiles. Immobile, le front perlant de sueur, une pipe sculptée à la bouche, il porte un chapeau à large bords, un costume écossais beige,et des chaussettes blanches et rouges. Les photographes se pressent pour immortaliser le sapeur qui, pendant quelques minutes, a un peu éclipsé ses camarades. Des camarades qui ne se démotivent pas et ouvrent leur valise pour exposer fièrement vêtements et chaussures de marque.
L’heure du final. Chacun cherche à marquer les esprits à sa manière. On danse, on reste figé ou on bouge à peine. Le «vieux papa», lui, pose un pied sur sa chaise, découvrant à nouveau ses chaussettes. Les sapeurs quittent le podium sous des applaudissements et des sifflets de joie nourris. Reste que certains auraient bien voulu que le spectacle du collectif Solidarité des artistes pour le développement intégral (Sadi) dure plus longtemps. Une demi-heure, «c’est trop court!», a déploré un homme frustré.
Habibou Bangré, à Kinshasa