Chaque jour, je vire, je passe devant ces vitrines, je suis les courbes et les lignes droites. Je suis assise, je regarde devant moi. La vie défile au rythme des nuages, absent cet automne, un ciel bleu, trop bleu pour un mois de novembre.
Juste un coin de neige, là-haut sur les cimes des montagnes, je regarde chaque jour, plusieurs fois par jour, ce pic, et sa jupe blanche. Presque toute l'année, il y a des dentelles, sur une robe plus ou moins longue, parfois se mélangeant avec les autres monts, je cajole, je tend mon doigt pour les suivre. J'aime cette région, je me suis installé ici quand mon fils à décider de faire une école d'ingénieur, juste après notre divorce, le divorce avec son père. Maman poule, stupide réaction de vouloir le protéger à presque vingt ans, lui regardant déjà les filles, ses devoirs aussi, oubliant de revenir le soir. Je me suis inquiétée au début, puis j'ai pris mon rythme, seule, totalement seule le soir dans mon appartement, loin de lui, de mes deux hommes. Le spleen, la vie, ma vie, mes propres repères, et des doutes, mais mon fils était heureux, fière de sa maman, heureux de sa liberté d'étudiant tout autant. Je regardais Helen Hunt et Jack Nickolson, je pleurais en lisant des livres de femmes, je commençais à lire les blogs de femmes, comme moi, différentes de moi. J'ai aimé ce lieu finalement assez vite. Pour le pire et pour le meilleur, je suis devenue une autre. J'ai répondu à une annonce, je repris les études, j'ai repris pied à la vie. Sans mes hommes.
Là, ici et ailleurs, j'ai tourné, viré, bachoté et ri, de mon image devant mon miroir, mais j'ai compris que ma force était là dans les lumières un soir sur cette ville, ce nouveau coin à moi. J'ai ouvert les volets, j'ai regardé les petites lumières, les silences et quelques cris dans la nuit, cette lune coincée derrière ce pic, comme accrochée. J'ai vu la neige briller dans l'obscurité. J'ai absorbé ce calme et j'ai pris confiance en ce vide. Le lendemain j'avais le poste. Ma féminité est devenu un atout, une femme dans une équipe d'hommes. Pantalon, mais détail au féminin, sourires et complicités respectueuses avec les collègues.
Depuis je regarde autour de moi, je vois les femmes, je vois les jeunes filles, je regarde les quadras, je suis à mon poste pour les voir traverser, s'arrêter et courir, se faufiler. Ou parfois ils restent à discuter sur le trottoir, entre eux, entre elles ou seule avec leur téléphone, avec leur mode. Je rigole, je change mes habitudes, je picore leurs ballerines, leurs robes, leurs collants gris, leurs bottes, des éléments comme des décalcomanies sur moi-même.
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Depuis, je suis avec quiétude, parfois en poussant le klaxon, mais souvent en glissant en silence, je suis les courbes de cette ville. Mon tram est là, vivant, un lien entre les générations, les personnes âgés, les fougueux duos d'étudiants amoureux, le nord et le sud de cette ville, entre les cadres grincheux de la grosse entreprise, les petits employés, et les magistrats qui volent, toujours en retard vers le tribunal. Je vogue au gré des arrondis du circuit, entre mes montagnes. Et juste entre nous, vous et moi, je suis heureuse. Simplement heureuse !
Nylonement
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