Recension de l’ouvrage de Raymond Boudon, La sociologie comme science, La Découverte, 2010.
Par Jean-Baptiste Noé
Point de nouvelles découvertes ici, mais un rappel de ses grands thèmes de recherche : sur l’inégalité des chances, sur l’ordre social, sur l’art et sur la politique, sur l’apport de Tocqueville à la compréhension des sociétés. On lira donc avec intérêt les brefs chapitres où Raymond Boudon parle de ses travaux, et propose une synthèse de ses découvertes. Le livre étant court et bref il offre une première entrée en matière pour le lecteur désireux de connaître un scientifique privé de télévision ou de passage radio.
Ce qu’il écrit à propos de la question de l’inégalité des chances résonne d’ailleurs de façon prophétique quand on sait ce qu’est devenue l’école aujourd’hui.
La manière la plus efficace de réduire effectivement l’inégalité des chances consiste à renforcer la fonction de transmission des savoirs de l’école, l’évaluation des élèves, et la liaison entre les résultats de l’évaluation et l’orientation. Les incertitudes relatives à l’évolution de la demande en matière de compétence invitent par ailleurs à accentuer la différenciation du système scolaire. (p. 43)
Or, c’est tout le contraire qui a été fait. L’école n’est plus le lieu de la transmission des savoirs, mais un lieu de vie. Comme le fait remarquer l’auteur, on a uniformisé le système scolaire au moment même où de plus en plus de monde y entrait, c’est-à-dire des gens différents, qui avaient besoin d’un système différent. Plus la population était diverse, et plus l’école était rigidifiée et unique, ce qui ne pouvait que conduire à l’échec. Ce qu’il avait pu démontrer par l’analyse s’est trouvé vérifié par les faits.
La politique menée au niveau du secondaire est la cause principale de la stagnation de l’inégalité des chances au niveau de l’enseignement supérieur. Cela résulte du fait que l’on a cessé de faire du secondaire un lieu essentiellement de transmission du savoir. Au lieu de cela, on a pratiqué une politique de caractère symbolique. En retardant les différenciations entre les filières, en sacralisant le collège unique, en traitant l’enseignement professionnel comme un parent pauvre sous l’effet de l’idéal égalitariste selon lequel, dans un monde bien constitué, tout le monde devait avoir accès au cursus les plus nobles, on pensait exorciser l’inégalité des chances. On la renforça. (p. 44)
Ses pages sur le politiquement correct sont elles-aussi éclairantes sur la situation actuelle :
Contre l’idée reçue qui tend à imputer le politiquement correct à la tyrannie de la majorité, il résulte en réalité de la tyrannie des minorités. On le vérifie à ce que, sur bien des sujets, le politiquement correct heurte l’opinion. Car il est le fait davantage des minorités actives et des groupes d’influence que de l’opinion. Et si cet effet paraît plus puissant en France que dans des démocraties voisines, c’est en raison surtout de la structure du pouvoir politique. (p. 107-108).
Ce politiquement correct nuit à la démocratie puisque la majorité ne peut plus s’exprimer et se trouve privée de pouvoir politique, au profit des minorités actives qui imposent leur vision du monde. Internet est pour lui un moyen de communication social qui peut restaurer la démocratie en donnant la possibilité aux majorités de s’exprimer là où les médias dominant l’empêchent de faire porter leurs voix. Les changements technologiques sont toujours à l’origine de grands changements politiques ; avec la révolution internet nous alors donc peut être assister à une autre révolution politique.