Aujourd'hui un texte différent dans l'anthologie (la journée étant elle-même un peu exceptionnelle), une réflexion sur le livre et une occasion d'attirer l'attention sur la très belle revue Conférence*
De la fureur d'avoir des livres et de les accumuler1. On a donné à la passion des livres des noms hyperboliques et des qualificatifs provocateurs. La glorieuse Encyclopédie, au milieu du XVIIIe siècle, avance une savante périphrase, où la compétence étymologique s'unit à une clairvoyance indéniable. La bibliomanie s'y trouve en effet définie en ces termes par la Raison assise sur le trône qu'occupait la Religion :
"Fureur d'avoir des livres et de les accumuler"
La mania grecque est correctement traduite par le furor latin. Mais au délire de posséder des livres, l'auteur de la notice, d'Alembert, ajoute un verbe d'une précision éclairante :"et de les accumuler". Pourquoi cet infinitif coordonné, qui fait éclater le statisme de la possession et lui imprime une poussée ascensionnelle. Parce que – pourrait-on répondre – c'est là que se cache la clef de voûte de la bibliomanie qui, au lieu de soutenir sa propre construction rationnelle, la fait s'écrouler : le mirage d'un accroissement sans fin, d'une échelle qui s'élève jusqu'à la bibliothèque du Paradis dont Bachelard rêvait pour l'au-delà des bibliophiles, projection finalement accomplie d'un en deçà insatiable.
Mais il y a quelque chose de plus fou que la bibliomanie ou folie d'avoir des livres. C'est la folie de ne pas en avoir.
Ce mystère est encore plus insondable. Aucun objet – pour prendre l'un des mots préférés du monde contemporain – n'est plus parfait qu'un livre qui est tout ensemble cause et effet de tant d'expériences : voyages, aventures, rêverie, désirs, pensées, histoires, personnages, mondes.
Il ne s'agit pas de refuser à autrui le moyen de pouvoir offrir des informations précieuses et parfois irremplaçables. Mais il y a une chose que l'information ne peut remplacer : la formation. Et la formation, ce processus sans fin d'enrichissement et de plaisir, passe par les livres.Aussi voudrais-je poser la question suivante : qui est fou ? Celui qui désire posséder toujours plus de livres, ou celui qui n'en a aucun chez lui, et dans sa tête pas davantage ?
Giuseppe Pontiggia, traduction de Christophe Carraud, Conférence n° 24, Printemps 2007, p. 324.
1Extrait de Prima persona, in Opere, Mondadori, 2004, p. 1788, 1793.
*Semestrielle, avec de très gros numéros de près de 700
pages sur papier bible, Conférence est dirigée par Christophe Carraud et a déjà
édité 25 numéros. Revue de littérature, mais aussi de réflexion politique, proposant des
traductions de grands textes passés et présents, des inédits d’auteurs
essentiels que l’état de l’édition méconnaît, des gravures et photographies.…
La poésie y a toujours une place de choix.
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Écrivain (romancier) et critique littéraire italien, Giuseppe Pontiggia est né le 25 septembre 1934 à Côme, Lombardie et mort le 27 juin 2003 à Milan.
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