Cotter © Ça et Là - 2011
Fin des années 1980 dans une petite ville du sud du Middle West. Un garçon de 10 ans raconte son quotidien, entre les boutades « t’es moche », « tu pues », « t’es qu’un gros sac » récurrents de ses camarades de classe et son monde imaginaire peuplé de robots et de supers-héros. Il n’a pas d’amis, personne à qui se confier, il n’a d’autre choix que celui d’affronter seul cette période si délicate qu’est la pré-adolescence.
« La vie n’est pas juste » lui dit sa mère… c’est bien vrai tout cela !
Ses relations avec ses parents sont bonnes. En bon fils, il tente de répondre à ce qu’ils attendent de lui ; il accepte d’aller à l’Eglise, aux séjours organisés par les Jeunesses Optimistes (cousines des Scouts) et de s’occuper de son petit frère si « adorable au point d’en être écœurant ». Et lui dans tout cela ? Pas grand-chose si ce n’est les comics, seule source de plaisir dans sa vie. Ses lectures l’aident à oublier toute cette morosité, il s’évade dans son monde imaginaire en compagnie de « Nova furtif », son héros. Nova furtif est un robot qu’il retrouve dans son magazine mensuel éponyme. Entre chaque parution, il le fait revivre dans ses rêves, le redessine et lui invente de nouvelles aventures fortement inspirées de ses échecs, de ses déceptions et de son incompréhension du monde qui l’entoure.
Les paysages d’un milieu rural nous accueillent dès les premières pages, toile de fond invariable de cette chronique sociale. La première scène que le lecteur découvre est celle d’une préparation de match de football où un groupe de garçons s’organise pour former les équipes… pas de chance pour notre héros malchanceux car lorsque vient son tour, les équipes sont au complet. Dommage, il ne lui reste plus qu’à tuer le temps en regardant le match. A côté de lui, les filles extrapolent et fantasment, le tout est de savoir qui est le plus beau garçon de l’école. Mais notre héros n’est pas concerné non, son corps potelé le prive de toutes ses chances, son esprit s’évade dans un monde imaginaire, il y retrouve son héros. Le ton est donné, cette solitude et ce rejet vont l’accompagner durant les 288 pages de cet album… et j’imagine qu’au-delà de cette histoire de papier, le garçon a encore quelques années douloureuses à franchir.
Un récit intimiste fortement inspiré de l’enfance de l’auteur. Joshua W. Cotter est né en 1977 « quelque part dans le fin fond du Missouri » précise l’éditeur. S’il dessine certainement depuis sa tendre enfance (à en croire le garçon de cet album), ce n’est qu’en 2000 qu’il parvient à publier ses strips. Les Gratte-Ciel du Midwest (Skyscrapers from the Midwest) ont initialement été publiés en fanzines à partir de 2003. En 2004, AdHouse Books publie le premier des quatre volumes de la série, l’intégrale sera éditée en 2008 avant de débarquer en France en novembre 2011.
Un album spécial dans lequel on n’entre pas facilement. Il faudra attendre un long moment avant de disposer des clés de compréhension et encore, une fois la lecture terminée, je suis sûre d’avoir laissé filer certains éléments. Quant au titre de ce recueil, on en comprend le sens en cours de lecture mais là encore… j’hésite entre trois alternatives et toutes trois me semblent pertinentes.
Le trait est gras, lourd et rond ; dans la même veine que de nombreux auteurs américains j’aurais tendance à dire pour éviter des détours. Le narrateur (le jeune garçon) évolue dans un monde anthropomorphique où les humains ont une légère apparence féline excepté un personnage que l’on ne voit pas évoluer sur les cases mais qui intervient à chaque entame de chapitre : « Kenny le Sec ». Kenny est un fermier du coin. C’est également le destinataire des courriers de lecteurs des « Gratte-Ciel du Midwest », feuille de chou locale. Il dit être un cowboy, vit dans cet état d’esprit-là et les réponses qu’il fait à ses lecteurs sont plus expéditives qu’elles ne relèvent du bon sens. Appréciez comme il semble dépourvu de toute notion de respect et de courtoisie :
P’tain, t’la joue pas intello avec moi, ‘spèce de gros débile… ch’écoute même pas. « R’gardez-moi ! Chuis éducationné, moi ! R’gardez-moi !… » Tu peux d’garder ton analojuste et t’la fourrer là où j’pense, Pablo. Tuy veux apprendre quèque chose ? Lâche ta putain de BD, balance-moi ce futal bizarre par-d’ssus bord et rhabille-toi. Rin de mieux que le grand air et l’école de Daaame Natuuure pour s’éducationner. Et me ramène pas tes rêves pourris de citadin. T’es con comme une barrique de fumier, voilà c’qu’t’es.
Ce personnage caricatural, un brin fanatique, croyant en Dieu et prêchant de désuètes valeurs sociales symbolise pourtant bien ce coin du monde que l’auteur se prête à décrire. Il est des endroits sur Terre qui ne font vraiment pas rêver ! Quant à ses « brebis », on les croise toutes dans l’album. Cela me fait penser à Essex County (Jeff Lemire) dont je vous parlais il y a peu de temps. La construction narrative de Joshua Cotter est assez proche de celle de Lemire même si les chapitres sont plus nombreux, plus succincts également, comme si Cotter refusait qu’on s’attache à un personnage ! Proches, les deux albums le sont aussi du fait du contexte social décrit (milieu rural, des valeurs familiales et religieuses fortement ancrées dans les mentalités d’autre part). Au final, malgré l’absence de liens apparents entres les scénettes, les connections vont se faire au fil de l’album.
Les thèmes récurrents à toutes « chroniques sociales » sont présents. De manière crue ou fantasmée, il sera question de mort, de foi, de violences conjugales, de préjugés… Un running-gag étonnant revient sous la forme d’une fausse publicité sur une marque de cigarettes « Fun » avec des jeux de mots comme « Si vous ne fumer pas des FUN, vous n’êtes pas fun ! » ou « FUN, c’est bon pour le mental et pour le fun ». Une marque de cigarettes conseillée par le corps médical, une campagne publicitaire qui cible le public des pré-ados / ados. Très ironique ! L’album est truffé de jeux de mots et je pense être loin de les avoir tous relevés. Je serais curieuse de lire l’album en VO pour cela mais la traduction de Fanny Soubiran est très appréciable… tout comme le travail réalisé par Ça et Là qui nous livre une fois encore un très bel objet (sur le fond et sur la forme).
Visuellement, j’ai été gênée par une forte ressemblance entre les personnages (surtout les enfants) ; ils sont difficilement dissociables, ce qui rend la lecture un peu complexe. De plus, les allers-retours réguliers entre monde réel et du monde imaginaire (du personnage principal et de son petit frère) ont tendance à saccader la lecture mais avec un peu de recul, cette impression s’estompe.
En fin d’album, un cahier graphique contient des croquis, brouillons, réflexions de l’auteur, ainsi que les visuels de couverture originels (je pense) des fascicules (en VO, le récit a initialement été publié en quatre fascicules avant d’être publié en intégrale).
Je remercie Libfly et Les Éditions Ça et Là pour cette découverte !
Les Gratte-ciel du Midwest est un laboratoire dans lequel l’auteur se dévoile. On sent qu’au-delà des jeux de mots parfois salaces se cachent des anecdotes qui mêlent souvenirs, affects et visions complètement fantasmées d’une situation vécue durant l’enfance. Graphiquement, les illustrations foisonnent de détails et de références aux codes des comics. Lorsque j’avais présenté Bottomless Belly Button de Dash Shaw, David avait précisé (en commentaire) que l’auteur avait (sic) « Une utilisation des codes de la BD intéressante même si parfois il en abuse ». L’excès de codes ne m’avait pas gênée outre mesure sur Bottomless…, contrairement aux Gratte-Ciel du Midwest ; un album riche mais un peu oppressant. Une seconde lecture devrait me permettre de mieux appréhender ce récit.
L’avis de PaKa (très proche du mien).
Les Gratte-Ciel du Midwest
One Shot
Éditeur : Ça et Là
Dessinateur / Scénariste : Joshua W. COTTER
Dépôt légal : novembre 2011
Bulles bulles bulles…
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