"Abattez les grands arbres"... on en discute...

Par Sandy458

Quand 2 auteurs échangent autour d’un texte, cela donne un commentaire impossible à traiter en quelques mots sans avoir l’envie de l’étayer et finalement, cela donne naissance à un nouvel article !

Yannick Pène – auteur dont vous trouverez les écrits aux Editions du Solitaire- a déposé ce commentaire suite à mon article « Abattez les grands arbres… pour aller plus loin »

« Bonjour Sandrine et merci pour ce rappel des faits qui enrichit ta nouvelle qui m'avait vraiment marqué lors du concours de Patrick. Je l'avais trouvé très bien écrite et écrite avec le coeur,
l'âme. Elle réussissait le tour de force de mêler histoire contemporaine et déroulement dramatique pour les personnages, ce qui donnait une grande force à ce texte.
Il est très vrai que les principaux médias qui devraient faire ce devoir d'information  et de mémoire, ne le font pas et que la véritable information est plus dure à trouver. Il est aussi
écoeurant de se dire que la Françafrique continue malgré les différents gouvernements français.
Ton texte a le mérite de nous faire toucher du doigt la réalité rwandaise et c'est déjà beaucoup. Celui qui l'a lu ne peut plus dire qu'il ne savait pas. 
J'ai aimé ton rappel historique mais peut-être parce que j'aime écrire et que j'ai adoré ta nouvelle, j'aimerais en savoir plus sur le processus créatif qui t'a poussé à écrire "Abattez les
grands arbres!". J'aimerais savoir par exemple quelles ont été tes sources d'information, combien de temps as-tu mis pour écrire la nouvelle? Je suis passionné par les questions relatives à
l'acte créatif. C'est pourquoi je te pose ces questions, pour aller un peu plus loin que le texte original.
Cela pourrait faire un beau billet sur ton blog sur le processus créatif de cette nouvelle ou tu peux me joindre sur Facebook pour continuer la discussion par mail si le coeur t'en dit.
Voila je voulais te féliciter depuis longtemps pour ta nouvelle et comme l'occasion fait le laron, je le fais aujourd'hui.
Je te souhaite une bonne soirée et te dis à bientôt j'espère.
Amicalement. 
Yannick »

   En premier, c’est le souvenir tenace d’images diffusées lors d’un journal télévisé du soir qui ne se sont jamais effacées.

Nous étions en 1994, le dîner était servi sur la table, mes parents mangeaient consciencieusement sur un fond visuel totalement hallucinant : un occidental (peut-être d’une ONG, je ne me souviens plus) était interviewé par un journaliste.

Autour de lui, un chaos incroyable !

Au milieu de cela, il expliquait des événements graves qui se déroulaient au Rwanda et appelait littéralement à l’aide devant ce qui prenait résolument la tournure d’un génocide. Je me rappelle la vague de malaise qui m’avait prise à ce moment-là.

J’étais devant mon repas, bien confortablement installée, à regarder un pays qui s’autodétruisait en direct et  la situation n’alertait personne.

Fin du reportage télévisé, on passe à autre chose.

Sauf que je n’ai jamais pu chasser mon impression d’avoir croisé un événement tragique et que l’indifférence qui l’entourait était inconcevable et inhumaine !

En clair, j’étais là, nous étions tous là mais nous fermions nos consciences.  Les informations ont eu par la suite bien du mal à filtrer et le terme de génocide au Rwanda n’a vraiment été murmuré que bien plus tard. Mais je n’ai jamais oublié jusqu’à ce que…

… jusqu’à ce jour où je suis tombée sur un film diffusé sur Canal + : "Hôtel Rwanda".

 Un film admirable qui – même si le propos est forcément romancé – expose le génocide dans toute sa cruauté de machine à exterminer « l’autre ». Cet autre, ce frère ennemi, dont on  peut disposer en toute impunité puisque tout le monde a détourné les yeux.

De fil en aiguille, je me suis renseigné sur les protagonistes du film qui ont réellement existés, sur le génocide vécu au cœur du pays, sur l’influence étrangère et ses relents de colonialisme, sur les témoignages des survivants enfin.

Sur internet, il est facile de trouver des sites d’ONG, d’historiens indépendants, de témoignages pour se documenter sur la réalité, celle qu’on ne lit pas dans les manuels d’histoire qui sont restés très discrets sur les facettes de la boucherie africaine qui puise sa source dans les agissements de la France, la Belgique et autres pays.

Avec toutes ces données et ce souvenir obsédant de 1994, il est vite devenu clair pour moi que je devais écrire cette nouvelle.

Les témoignages des survivants ont bien entendu été déterminant pour l’écriture d’ "Abattez…"

Il était hors de question que je brode, que j’invente un parcours romanesque et héroïque de Marie-Espérance et des siens en trahissant la réalité.

Ainsi, ce qui est écrit est conforme aux vécus des personnes qui en ont réchappées et qui ont pu témoigner.

Cela m’a pris 4 jours de travail où je ne vivais plus qu’au Rwanda.

Techniquement, j’ai beaucoup de mal à planifier mes écrits de A à Z.

Cela commence par le déclic des premières phrases qui m’emporte.

Au fur et à mesure que j’écris les phrases suivantes, les scènes s’enchaînent dans ma tête, je les notes pour me souvenir de tout cela, de tout ce petit cinéma intérieur.

En fait, j’écris en « fluidité », je reviens rarement sur ce que j’ai écrit auparavant, je me laisse porter par le petit film que je visualise et que je retranscris en mot.

La corvée (sic!) de la relecture me permet de gommer les erreurs, les non-sens, les imprécisions.

C’est finalement très prenant car tout s’enchaîne à toute vitesse, histoire, personnage, ressenti, ça ressurgit même lorsque je ne suis pas devant mon ordinateur, une idée, un truc qui flotte, une image qu’il faut noter là, maintenant, tout de suite. Je pourrai qualifier mon processus d’écriture de « visuel ».

Voilà pour répondre à ton commentaire en espérant t'avoir apporté un éclairage satisfaisant.

A bientôt !