La dépêche AEDD est reproduite ci dessous.
Pour avoir consacré ma thèse de doctorat en droit au principe de précaution, je suis convaincu de deux choses : ce principe de valeur constitutionnelle ne constitue pas une menace pour le progrés scientifique et ne doit surtout pas être réduit à une procédure unique et spécifique.
On le sait, à droite comme à gauche, le principe de précaution agace, plus pour des raisons politiques que juridiques car le Juge, somme toute, en fait une application assez rare et trés raisonnée.
Le lobby anti principe de précaution a eu pour première stratégie de tenter d'effacer le principe de précaution de notre droit et de le faire disparaître du code de l'environnement. Peine perdue, son contenu a été inscrit au sein de la Charte de l'environnement et donc de notre bloc de constitutionnalité. Le contenu simplement car les antiprincipe de précaution ont tout de même obtenu que le nom du principe ne soit pas mentionné mais seulement son sens :
L'article 5 de la Charte de l'environnement dispose :
"Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage".
A défaut d'avoir pu écarter tout le principe de précaution de la Charte, les opposants ont alors changé de stratégie au profit d'une opération plus subtile mais tout aussi dangereuse : proposer, non pas la disparition mais la définition du principe de précaution.
Définir pour réduire. Encadrer pour étouffer.
En effet, définir les conditions d'application du principe de précaution revient nécessairement à en ruiner jusqu'à l'existence même.
Comprenons nous bien : le principe de précaution s'applique aux situations d'incertitude scientifique. Par définition, une situation d'incertitude scientifique est...incertaine. Ce qui signifie trés concrètement qu'il est impossible de prévoir par avance ce qui va se passer et ce qu'il faudra décider !
Trés précisément, le principe de précaution ne dit pas ce qu'il faudra décider mais uniquement : qu'il faudra décider. Ce qui représente un changement complet de paradigme : plutôt que d'attendre les certitudes de l'expert, le politique doit assumer complètement sa responsabilité en décidant sans attendre.
La proposition de loi sur la santé et la proposition de résolution qui sont mentionnées dans le rapport parlementaire co rédigé par MM Alain Gest (UMP) et Philippe Tourtellier (PS) auront pour vocation de réserver, par avance, l'application du principe de précaution à une procédure particulière voire à une fonction unique, l'évaluation du risque.
Ces deux propositions permettent de modifier complètement le rapport politique/expert tel qu'introduit par le principe de précaution. De nouveau, l'expert - tout au moins l'expert officiel - est remis au centre du dispositif d'évaluation et de gestion démocratique du risque radical. Considérable retour en arrière.
Au delà de ce rétropédalage, la proposition de résolution reproduite ci dessous revient à ensevelir le principe de précaution sous une montagne de conditions préalables, inscrites si possible dans le marbre du droit, laquelle montagne aura pour seul effet de paralyser tout à fait l'application du principe de précaution.
C'est grave et trés grave même.
En premier lieu, rappelons que la Charte de l'environnement prévoit que le principe de précaution s'applique sans qu'il soit besoin de recourir à la loi. Les auteurs du rapport proposent de faire le contraire et - d'enfouir le principe sous un tas de nouvelles normes, sous couvert de précisions.
En second lieu, il est fondamental que l'application du principe de précaution soit souple, adapté au cas par cas, que les conditions de délibération et de décision soient précisées et même modifiées en fonction de l'état des connaissances scientifiques et des conclusions du débat public. Les auteurs du rapport proposent une procédure carcan qui définirait une fois pour toutes la manière d'appliquer ou plutôt de ne pas appliquer le principe de précaution.
Espérons que la mobilisation sera forte et que le principe de précaution, qui est un appel à l'intelligence et non au juridisme étroit, soit protégé.
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Dépêche n° 12051Claire Avignon
Paris, jeudi 17 novembre 2011, 18:07:27
Domaine :Énergies et Environnement
Rubriquage :Actualité - Droit - Parlement - Santé
URGENT. Principe de précaution : un rapport parlementaire préconise une loi sur la santé et une résolution
Les députés Alain Gest (UMP, Somme) et Philippe Tourtelier (PS, Ille-et-Vilaine) proposent, dans un rapport parlementaire présenté jeudi 17 novembre 2011 au comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, d'adopter une proposition de loi « relative au principe de précaution applicable dans le domaine de la santé », ainsi qu'une proposition de résolution sur les procédures d'application du principe. Ces deux élus avaient déjà écrit un premier rapport sur le sujet au printemps 2010 (L'AEDD n°6833 et n°6454). Ils soulignent, dans leur nouveau rapport, « la permanence de difficultés », « relatives, notamment, à la distinction entre les situations de prévention et de précaution, ainsi qu'à l'application du principe de précaution dans le domaine sanitaire ». Pour rappel, le principe de précaution a valeur constitutionnelle depuis l'adoption de la charte de l'environnement, en 2005.
La proposition de loi consiste en un article unique qui crée un article dans le code de la santé publique : « Quand existent des motifs raisonnables, appuyés sur des études scientifiques, de penser que l'usage ou la consommation d'un produit de santé […] peut, bien que de façon incertaine en l'état des connaissances scientifiques et techniques, conduire à la réalisation d'un dommage affectant, directement ou indirectement, la santé humaine de manière disproportionnée aux bénéfices, directs ou indirects, susceptibles d'en être escomptés par le consommateur ou l'utilisateur ou du point de vue de la santé publique, les autorités publiques veillent, dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre d'une évaluation de ces risques et bénéfices. »
« AFFAIRE DU MEDIATOR »
Toujours selon ce projet d'article, les autorités publiques « adoptent et veillent », « au vu de cette évaluation », « à l'application de mesures provisoires de nature à réduire les risques en fonction des bénéfices escomptés, en tenant compte des développements scientifiques et techniques les plus récents ». « Ces mesures, qui doivent être motivées, font l'objet d'un réexamen périodique en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques et du niveau de protection recherché. » En outre, « l'évaluation des risques et des bénéfices escomptés est conduite en veillant, dans la mesure du possible, à s'inscrire dans les principes d'excellence, d'indépendance, de transparence, de pluridisciplinarité et de contradiction ».
Dans leur rapport, les deux députés expliquent que leur analyse « confirme […] la prépondérance du domaine sanitaire parmi les champs susceptibles d'être concernés par les questions de précaution ». « Au regard de l'importance des enjeux sanitaires, illustrés notamment par l'affaire du Mediator, il apparaît plus que jamais souhaitable de préciser la définition et les modalités de mise en œuvre de ce que devrait être le principe de précaution dans le domaine de la santé, en tenant compte des spécificités du secteur sanitaire, et plus particulièrement des produits de santé. »
« GUIDE PRÉCIEUX »
L'élu UMP et l'élu PS défendent également une proposition de résolution (1) « qui permettrait d'exprimer la position de l'Assemblée nationale sur les conditions procédurales de mise en œuvre du principe de précaution dans l'ensemble des domaines effectivement concernés par celui-ci ». « Ce texte constituerait un guide précieux pour la mise en place par le gouvernement des instances et procédures indispensables à l'application rationnelle du principe de précaution, dont la nécessité fait consensus, et éclairerait également le juge quant à l'interprétation de la mise en œuvre de ce principe. » La proposition de résolution cite, comme instance possible, le Comité de la prévention et de la précaution.
L'application « inadaptée » du principe de précaution est due, selon Philippe Tourtelier et Alain Gest, au « manque de rigueur et de transparence dans l'évaluation de la valeur relative des expertises fondant les analyses » et à « l'absence d'une compréhension claire du périmètre des risques relevant du principe de précaution et d'une prise en compte suffisamment étayée des avantages attendus du produit ou du procédé porteur du risque allégué, et d'une appréciation de ceux-ci qui prenne en compte non seulement l'analyse scientifique technique, mais aussi l'analyse des incidences économiques, sociales, éthiques, sociétales, etc. » Les deux députés évoquent également « une organisation du débat public insuffisamment efficace » et « l'absence d'un référent unique et clairement identifié, porteur de la procédure, jusqu'à la prise de décisions ».
Le rapport met également en avant « la difficulté d'adopter, dans un contexte d'émotion légitime, des mesures proportionnées et de prévoir leur réévaluation ». Il recommande l'instauration d'un « dialogue interministériel » dans le but de « déterminer les modalités pratiques – encore floues aujourd'hui – de mise en œuvre d'un régime de précaution ». Elles porteraient en particulier sur « les procédures visant à garantir l'expression et la remontée des alertes jusqu'au niveau ministériel, y compris dans le secteur privé » ; « les seuils déclenchant le passage de l'alerte au niveau supérieur » ; « les conditions et la procédure de saisine du comité d'identification des risques » ; « ainsi que la déclinaison de ces procédures au niveau local ».
(1) L'Assemblée nationale
- « 1. souhaite que, pour l'application du principe de précaution, soit mise en œuvre une procédure d'identification de l'émergence de nouveaux risques pour l'environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, confiée à une instance choisie à cet effet et chargée, une fois l'émergence d'un risque hypothétique analysée comme plausible, de désigner un référent indépendant, pilotant, sur un sujet donné, la mise en œuvre du régime de précaution dans chacune de ses phases et en rendant publiquement compte » ;
- « 2. estime que le référent précité devrait avoir la faculté de susciter l'expertise scientifique contradictoire et indépendante nécessaire à l'évaluation du risque et des bénéfices escomptés, directs ou indirects, ainsi que l'expertise scientifique sociétale permettant l'évaluation de l'utilité collective du procédé ou du produit considéré » ;
- « 3. précise que le rapport du référent précité devrait comporter, en particulier, un examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action ainsi qu'une analyse des coûts et des bénéfices des différentes options possibles, lorsque cela est approprié et réalisable, sans préjudice d'autres méthodes d'analyse non économiques, notamment d'ordre social ou éthique, tout particulièrement pour ce qui touche à la protection de la santé « ;
- « 4. précise que l'évaluation des risques et des bénéfices escomptés doit s'inscrire dans les principes d'excellence, d'indépendance, de transparence, de pluridisciplinarité et de contradiction, et s'attacher à caractériser l'incertitude scientifique et technique en ce qui concerne le risque plausible considéré » ;
- « 5. souhaite que les rapports d'évaluation des risques et des bénéfices escomptés, s'appuient sur un jugement étayé et contradictoire, réalisé par l'instance d'identification précitée, de la qualité scientifique des travaux disponibles, qui tienne compte de l'appréciation, dans la plus grande transparence, du respect des règles d'indépendance de l'expertise au regard d'éventuels conflits d'intérêts, notamment non scientifiques, concernant leurs auteurs ;
- « 6. souhaite qu'à l'issue de l'expertise, le référent soumette aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l'organisation d'un débat public, que le public et les parties prenantes accèdent ainsi à l'état disponible complet des rapports d'évaluation et d'expertise, et que, après la tenue du débat public, le référent rende publics les rapports résultant de ce débat ainsi que les propositions qu'il formule à destination des autorités publiques » ;
- « 7. rappelle qu'il appartient enfin aux autorités publiques, saisies par le référent de l'ensemble des conclusions de l'expertise et des débats publics, de promouvoir les recherches scientifiques permettant de mieux cerner le risque hypothétique identifié, et de prendre les mesures, proportionnées et provisoires, qui s'imposent pour le limiter, en motivant leurs décisions » ;
- « 8. précise que de telles mesures doivent être proportionnées au niveau de protection recherché en mettant en balance le risque redouté et les bénéfices directs ou indirects escomptés, et choisies de façon à être effectives, non discriminatoires et cohérentes au regard des mesures déjà prises dans des situations similaires, tout en tenant compte des développements scientifiques et techniques les plus récents et de l'évolution du niveau de protection recherché. Elles font l'objet d'un réexamen périodique en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques » ;
- « 9. rappelle que, bien que de nature provisoire, les mesures doivent être maintenues tant que les travaux scientifiques demeurent incomplets, imprécis ou non concluants et tant que le risque est réputé suffisamment important pour ne pas accepter de le faire supporter à la société, leur maintien dépendant de l'évolution des connaissances scientifiques, à la lumière de laquelle elles doivent être réévaluées ».