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Allaitement : comportement inné ou acquis ?

Publié le 17 novembre 2011 par Pascale72

Allaitement maternel : processus naturel spontané ou comportement acquis ? Connaître les facteurs impliqués dans le démarrage et la poursuite de l’allaitement maternel est important afin d’aider un maximum de mamans. Ce post s’inscrit en réponse à un article de Home Sweet Môme qui réfléchit aux raisons profondes qui orientent une mère dans son choix d’allaiter ou de « biberonner ». En effet, il est intéressant de savoir par exemple si le fait d’avoir dans son entourage une mère, une sœur ou amie ayant allaité influe sur le choix du mode de nourrissage. 
Invitée pour la 3e fois, à participer aux Vendredis Intellos de Mme Déjantée, j’ai souhaité rechercher les études  réalisées et publiées à travers le monde sur le sujet (l’idée de balayer une palette assez large de cultures est souhaitable). Comment et pourquoi une mère décide-t-elle d’allaiter ? Quels sont donc les facteurs influant sur la décision ?

Même si l’allaitement est un processus naturel puisque toutes les femmes sont capables d’allaiter, leur corps étant préparé pour cette fonction depuis leur naissance, la pratique de l’allaitement lui, semble bel et bien être un comportement à acquérir.

Comment en est-on arrivé à cette conclusion ? Bon nombre d’études consacrées à ce sujet, partent du constat que même si l’allaitement a prouvé ses avantages et ses bienfaits sur l’enfant et la mère, force est de constater qu’il est loin de faire l’unanimité   (notamment dans la poursuite au-delà des premières semaines) et ce malgré les recommandations des organisations sanitaires (allaitement exclusif pendant 6 mois, et mixte jusqu’aux 2 ans de l’enfant). Il faut donc bien que d’autres facteurs entrent en jeu et jouent sur la décision maternelle.

L’espèce humaine, cas particulier de la famille des mammifères ?

J. Wells [1] propose un très bel article sur la base d’une revue bibliographique détaillée et poussée ; il évoque tous les aspects biologiques, socioculturels de l’allaitement.  En particulier, il replace l’Homme (ndlr comprendre la Femme) dans la famille des mammifères et montre la variabilité du comportement entre les différentes espèces.

Ainsi sur l’échelle du « degré de maturité du nouveau né », le primate (que nous sommes) se trouve entre les mammifères nidicoles (type marsupiaux -avec poche ventrale) et le mammifère ongulé plutôt mature à la naissance (porcs, ruminants…).

Dans le cas de la 1ere sous-famille, le bébé en contact très rapproché avec sa mère, tète naturellement malgré sa faible maturité. Dans le cas de la 2e sous-famille, bébé est très mature, ce qui ne l’empêche pas de téter sa mère sans l’aide de celle-ci.
Dans le cas des primates, c’est un peu différent. Le petit n’est pas très mature (incapable de se tenir debout, de se nourrir seul) mais contrairement aux nidicoles, il a besoin d’être guidé par sa mère ; or elle aussi doit être aidée. Wells évoque un certain nombre d’observations de primates élevés en captivité. A leur primiparité, ils s’avèrent que les femelles n’allaitent pas, pratique qu’elles ne semblent pas connaître.  En groupe, à l’état sauvage, l’allaitement se produit pourtant ce qui suggère qu’un apprentissage de femelles « adolescentes » s’opère, leur permettant d’acquérir une expérience maternelle avant même leur 1er bébé. Le nourrissage des chimpanzés (notre proche parent) est également (d’après nombreuses observations) en général un phénomène acquis au sein du groupe (le mécanisme exact de l’apprentissage n’est pas encore bien connu) [2]

Toujours sur la base des résultats de nombreuses recherches, l’auteur montre que l’allaitement humain est conforme aux modèles observés chez les primates : il s’agit bien d’un processus biologique inné (les mères qui allaitent  ressentent des sensations et gestes spontanés) mais la mise en place et la poursuite s’adaptent aux conditions environnementales (que nous détaillerons ci-dessous) dans lequel le couple mère-enfant évolue.

En conclusion de cet article, l’auteur affirme que l’acte d’allaitement dans l’espèce humaine n’est pas un comportement instinctif : il nécessite des conseils, issus de l’expérience d’autres mamans, et/ou de générations précédentes.

 

chimpanze

Maher [3] évoque également cette notion d’expérience partagée. Pour lui, la pratique répandue du biberon au 20e siècle aux Etats-Unis a considérablement réduit l’expérience collective de l’allaitement dont la population contemporaine ne peut pas bénéficier.

Pourquoi cette différence entre primates et les autres mammifères ? Un cerveau plus élaboré peut-être qui préfèrent la voie de l’apprentissage. C’est un autre sujet !

Impact de l’environnement maternel sur la pratique de l’allaitement

Influence des décisions prénatales

Savoir que le processus de démarrage et poursuite s’acquièrent avec l’expérience (personnelle ou extérieure) est essentiel, notamment pour les primipares. Une étude néerlandaise [4] datant de 2005 sur les réflexions prénatales de 89 mères a en effet révélé que les jeunes mamans pensaient que l’allaitement était un acte entièrement naturel et inné et qu’en conséquence, elles ne ressentaient pas le besoin de s’y préparer avant la naissance. Sans expérience extérieure, ni information préalable, l’allaitement même choisi est plus difficile.

En dehors des primipares, l’étude montre également que la décision d’allaiter prise bien avant la naissance, était fortement corrélée avec le comportement effectivement mis en place. D’autres études ailleurs (2005 et 2011) sur un plus grand nombre de femmes font écho à ce résultat [5] [6] [8).
K. Beermann dans une récente communication [6] annonce quelques chiffres. Notamment une étude australienne montre que 72% des mères allaitantes l’avaient décidé avant même la conception, 23% l’avaient décidé au premier trimestre de la grossesse et 5 % au cours du 2e ou 3e trimestre.

L’apport d’une « formation prénatale » soit dans une maternité ou dans le cadre de rencontres et d’échanges avec d’autres mères allaitantes est donc totalement justifié surtout pour les primipares sans référence extérieure. Cela contribue à anticiper les questions qui ne manqueront pas de se poser, de couper court aux croyances erronées fréquemment rencontrées et qui conduisent généralement à un échec de l’allaitement (cf. note de fin). Cela permet également de renforcer le sentiment de confiance en soi qui manque aux jeunes mamans. Sur ce dernier point, une étude très intéressante est évoquée dans le document [6]. Il s’agit d’une étude canadienne datant de 2006, regroupant 101 femmes réparties aléatoirement entre plusieurs groupes : certaines suivaient des ateliers de mises en situation permettant de stimuler la confiance en soi notamment sur les thèmes de l’efficacité de l’allaitement de chaque mère et de la capacité à produire suffisamment de lait. Les résultats ont montré 58% d’allaitement exclusif dans le groupe témoin contre 70 % dans le groupe d’intervention. De plus, dans le groupe d’intervention, un nombre plus élevé de mamans répondaient positivement à l’affirmation « je sais toujours si mon bébé a reçu suffisamment de lait « 

Influence des normes sociales et culturelles

africaine

Les femmes évoluent toutes dans toute une palette de conditions sociales et culturelles qui influencent leur choix.  Une mère va adapter son attitude en fonction de ce qui sera acceptable dans sa propre culture : si la pratique de l’allaitement long n’est pas ancrée dans sa culture, elle obtiendra peu de soutien de sa famille, de ses amis et sera donc confrontée à des messages contradictoires provenant de son entourage, d’organisations sanitaires et des média [9]. Pour celles qui résistent, elles seront même amenées à devoir « défendre » leur choix d’allaiter, face aux commentaires de leurs proches [7].  Dans ces conditions, la poursuite de l’allaitement relève d’un vrai tour de force.

Dans certaines sociétés, comme l’évoque C; Britton [7], pas si éloignées (Angleterre), des messages forts peuvent même être véhiculés par le gouvernement lui-même et les professionnels de santé : allaitement pour 6 mois « oui » après quoi, le sevrage est requis.

C. Britton [7] donne plusieurs exemples de l’influence directe ou indirecte des normes socioculturelles : croyances religieuses, habitudes culturelles au regard du corps (ornements, interprétation différentes des parties à cacher ou non), législation qui s’est développée aux Etats-Unis  pour promouvoir et encourager l’allaitement, l’obligation dans certaines sociétés de « discipliner » son corps (les femmes doivent éviter toute fuite de lait par exemple, ce qui serait considéré comme manquement grave à la bienséance), l’impact de la presse qui impose le corps idéal en termes de forme et de taille. L’auteur évoque aussi la forte association seins - sexe (Angleterre – Etats-Unis) et lorsque les femmes allaitent, elles peuvent être vues comme transgressant la limite ente maternité et sexualité.
Enfin, C. Britton évoque également les énormes campagnes de marketing visant à promouvoir le lait artificiel. L’OMS et l’UNICEF y voient une cause majeure du déclin de l’allaitement.

Allaiter en public peut également mettre un obstacle à l’allaitement : Là encore la norme culturelle joue un rôle. Par exemple beaucoup de femmes américaines trouvent difficile d’allaiter en public [7] et leur angoisse est parfois renforcée par les médias qui mettent de plus en plus ce sujet en lumière. A cela s’ajoute le fait, surtout pour les primipares, qu’elles considèrent que l’allaitement en public pourrait être perçu comme une démonstration publique de leur faculté à gérer leur rôle de mère et ont peur d’être jugées (on en revient à l’idée de confiance en soi évoquée plus haut)

Tout cela influe sur la décision maternelle d’allaiter ou non.

Influence du réseau familial et social  (autres femmes proches de la mère)
Comme évoqué précédemment, l’expérience des proches qui correspond à la norme culturelle est un tourbillon porteur pour orienter le choix. Mais qu’en est-il des femmes qui décident d’allaiter hors des habitudes culturelles ?

famille

Une étude écossaise [5] qui fait écho à beaucoup d’autres, montre que le point de vue du conjoint, de sa propre mère et des sages-femmes autour de la jeune maman était extrêmement important (d’un point de vue du démarrage mais aussi de la poursuite de l’allaitement) . Et ce d’autant plus pour les primipares qui sont moins confiantes et ont besoin d’être guidées par leur entourage.

La transmission intergénérationnelle a  été étudiée en 2007 au Brésil [10]. Parmi les ressources bibliographiques sur le sujet, les auteurs constatent des résultats un peu divers, certaines études montrant une corrélation forte [11], d’autres études ne montrant aucun lien. L’étude de 2007 menée sur 420 femmes ne montre pas vraiment d’influence sur le démarrage de l’allaitement (à cause d’un fort taux d’allaitement initial dans l’échantillon étudié). Par contre, il a été noté un effet significatif pour la durée de l’allaitement avec un sevrage plus précoce (- de 6 mois) chez les mères ayant été allaitées moins de 1 mois.

Une étude américaine réalisée sur 150 mères en Alabama (dont 93% d’origine Africaine) montre pour cette culture un assez faible taux  de démarrage de l’allaitement maternel (41% à la naissance, et 24% d’une durée d’au moins 1 mois) et reflète assez bien l’influence de l’expérience maternelle, familiale ou d’amies proches dans la décision d’allaiter.

Influence du statut de la mère (âge, travail, niveau d’études)

Une étude réalisée en Israël (1994) [12] sur la base d’un suivi sur 2 ans des naissances issues de 3 maternités différentes a montré une forte corrélation entre le niveau d’études de la mère et la durée de l’allaitement (et ce quelque soit l’origine ethnique qui se trouve être fort hétérogène dans l’échantillon étudié).

L’âge de la mère est également un facteur influant. Les mères plus jeunes s’orientent moins facilement vers l’allaitement. Plusieurs études [12] [5], suggèrent une maturité et un sentiment de confiance en soi accrus avec l’âge.

Influence du soutien médical

Sur la base de ce qui a été évoqué ci-dessus, il apparaît clairement que le soutien et des informations fiables de la part du personnel médical (sages-femmes, puéricultrices, infirmières, pédiatres….) sont primordiaux. Quelques études le montrent effectivement [5], [6].

Par contre, au-delà du soutien du personnel médical, c’est le rôle du père qui est souvent perçu comme prépondérant [5]

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Influence du père

L’étude écossaise de 2005 [5] montre qu’autant pour les allaitantes que pour les non-allaitantes, le soutien du père dans leur choix est primordial.

L’auteur suggère en conséquence que les programmes d’information prénataux soient dispensés autant aux pères qu’aux mères et qu’il serait souhaitable d’élargir aux membres de l’entourage proche afin de faire sauter les barrières sociales !

Une étude spécifique brésilienne est consacrée au rôle du père [13]. 17 couples, jeunes parents d’un enfant âgé de 6 à 8 mois (quelle que soit son mode d’alimentation)  ont été sélectionnés. Une fois encore, on retrouve l’influence forte de la culture (ndlr : comment pourrait-il en être autrement ?) : l’implication du père dans le mode de nourrissage est telle que sa culture la lui a enseignée.

Influence des conditions physiques de la jeune parturiente (douleurs, accouchement, fatigue)
Les conditions de l’accouchement ont aussi un facteur infuant. Un accouchement par césarienne décourage généralement le démarrage de l’allaitement [12] ainsi qu’une naissance prématurée avec un bébé de petit poids [11].

Parmi les raisons fréquemment évoquées pour l’introduction précoce de lait artificiel, on trouve la fatigue, les seins douloureux ou un engorgement [6], [14] [8]. Il est généralement montré qu’une meilleure connaissance de l’allaitement (ndlr via programmes de préparation prénataux ou échanges d’expériences avec d’autres mamans) permet de régler ou du moins soulager ces problèmes (meilleur positionnement, écoute des signes de l’enfant, fréquences des tétées, politique de repos).

La prise de médication est également une des raisons du sevrage précoce [8] même s’il existe des guides pédiatriques affirment que peu de médicaments sont incompatibles avec l’allaitement.

 Note:
Parmi les croyances fausses, fortement ancrées, on retrouve l’idée que le colostrum est de mauvaise qualité, qu’une mère n’aura pas assez de lait, que d’autres nourritures ou liquides sont nécessaires au bébé de moins de 6 mois et que de l’eau est à apporter dans les pays chauds.

 Références utilisées :
[1] J. Wells, « The Role of Cultural Factors in Human Breasfeeding: Adaptive Behaviour or Biopower ? », Human Ecology Special Issue 14, p 39-47 (2006)
[2] H. Plotkin, « The imagined World made meal : Towards a Natural Science of Culture. Perguin Press, London (2002)

[3]- V. Maher, « Breast-feeding in cross-cultural perspective : Paradoxes and Proposals”, The Anthropology of Breast-feeding :  Natural Law or Social Construct” (1992)

 [4] B. Gijsbers, I. Mesters et al, “Factors Associated with the Initiation of Breastfeeding in Asthmatic Families : The Attitude-Social Influence Self-Efficacy Model”, Breastfeeding Medicine, Vol 1 (4), pp 236-246 (2006)

[5] V. Swanson, K.G. Power, “ Initiation and continuation of breastfeeding : theory of planned behavior” , Journal of Advanced Nursing, 50(3), pp 272-282 (2005)

[6] K. Beermann, « The Effectiveness of Prenatal Education on Breasfeeding Initiation and Continuation Rates », http://www.instituteofmidwifery.org, Avril 2011

[7] C. Britton, « Breasfeeding : a natural phenomenon or a cultural construct? » extrait de « The Social Context of Birth » Oxford : RadCliffe Pubishing,

[8] I. Ahluwalia, B. Morrow, J. Hsia, « Why do women Stop breastfeeding ? Findings from the Pregnancy Risk Assessment and Monitoring System », Pediatrics 116 (6), pp 1408-1412 (2005)

[9] IMCI Bulletin 7 – Breastfeeding – Pas d’auteur mentionné

[10] B. Horta et al. « Breastfeeding duration in two generations » , Rev. Saüde Publica, 41(1), (2007)

  [11], R.O. Meyerink, G.S. Marquis,  » Low-Income women in Alabama : the importance of personal and familial experiences in making infant-feeding choices », Journal of Human Lactation 18(1), pp 38-45 (2002)

 [12] P. Ever-Hadani, D. Seidman, et al., « Breast feeding in Israel :maternal factors associated with choice and duration », Journal of Epidemiology and Community Helath, 48, pp 281-285, (1994)

[13] C. Pontes, A.C. Alexandrinoo, M. Osorio, « The participation of fathers in the breastfeeding process : experience, knowledge, behaviors and emotions », Journal of Pediatra, 84 (4), (2008)

 [14] K. Lawson, M.I. Tullock, « Breastfeeding duration : prenatal intentions and postnatal practices », Journal of Advanced Nursing, 22, pp 841-849, (1995)


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