Peu importe que le sujet soit compliqué, difficile, délicat : l’enquête sur la catastrophe du Rio-Paris du 1er juin 2009, le tristement célèbre vol Air France AF447, mériterait d’être entourée de la plus grande sérénité. Et c’est tout le contraire qui se produit, dans un désordre et une nervosité qui ne cessent de croître et embellir.
Aujourd’hui, le parlement va examiner (et très probablement rejeter) un projet de loi présenté par la députée Odile Saugues et le SRC, groupe socialiste, radical et citoyen et divers gauche. Ce texte propose de mettre en place «un nouvel organisme chargé de veiller à la sécurité aérienne, une Haute Autorité», laquelle serait administrativement indépendante et s’appuierait sur un collège de personnalités, pour un tiers étrangères. Parallèlement, le Bureau enquêtes et analyses pour la sécurité de l’aviation civile, le BEA , serait transformé en établissement public à caractère administratif, «afin de mettre en accord ce statut juridique avec l’indépendance reconnue du BEA par le droit, une indépendance qui est, dans les faits, toujours respectée par le ministère des Transports».
Lors d’une réunion préparatoire qui s’est tenue le 9 novembre, un rapport d’Odile Saugues, qui est une élue socialiste du Puy-de-Dôme, a été examiné, l’essentiel, selon ses propres termes, étant bel et bien de renforcer la transparence de l’information en matière de sécurité du transport aérien en même temps que la mise en œuvre de la nouvelle réglementation européenne sur les enquêtes accidents. Laquelle implique la mise en réseau des différents organismes d’enquêtes des Etats membres de l’Union européenne.
On connaît les intentions louables d’Odile Saugues, rappelées à maintes occasions au fil de ces derniers mois. Mais, en partant d’un bon sentiment, d’une volonté de bien faire, d’un souhait de donner une plus grande place aux familles de victimes d’accidents, elle renforce bien involontairement la suspicion qui pèse sur les méthodes actuelles. En effet, comme souvent, la théorie du complot n’est jamais loin et, pour certains observateurs, le BEA ferait l’objet de pressions inavouables, d’incitations secrètes à occulter certaines «vérités».
Ces critiques, incessantes, redondantes, répétées à chaque fois que se produit un accident grave impliquant un avion battant pavillon français (ou étranger faisant des victimes françaises) méritent tout simplement d’être qualifiées d’indignes.
On n’imagine pas, par exemple, que les enquêteurs du BEA, dont les compétences sont unanimement reconnues à travers la planète tout entière, soient incités à défendre d’hypothétiques intérêts commerciaux d’Airbus au profit de sa clientèle et de la balance commerciale française. L’idée est tout simplement ridicule, en même temps qu’offensante, même s’il est visiblement impossible de l’éradiquer. Une nouvelle loi n’est pas non plus nécessaire dans la mesure où elle ne provoquerait en aucun cas le retour du bon sens. Lequel fait cruellement défaut depuis les années quatre-vingt, c’est-à-dire l’époque de l’entrée en service de l’A320, synthèse novatrice du pilotage à deux, des commandes de vol électriques, de la protection électronique de l’enveloppe de vol.
Cette semaine, de vieux démons, de grands classiques, refont aujourd’hui surface à la lecture d’une prise de position des pilotes, à l’intervention du SNPL, leur principal syndicat. Lequel ne s’interroge pas mais affirme : «le contexte de l’enquête sur l’accident du vol Rio-Paris a mis en évidence un certain nombre d’interrogations quant à l’indépendance du BEA, à l’égard de l’autorité de tutelle ou des industriels». Imagine-t-on l’ALPA, maison-mère américaine de la galaxie syndicale des cockpits, évoquant en pareils termes le National Transportation Safety Board américain ou Airbus, même sans les citer ? Le SNPL estime que le projet de loi Saugues constitue un pas dans la bonne direction mais le syndicat est quand même sorti de l’enquête sur l’AF447 à un moment pourtant crucial. Ledit SNPL précise par ailleurs qu’il a «interpellé» le ministre des Transports, le 8 novembre, mais que sa demande reste sans réponse.
Ce n’est pourtant pas de là que pourrait venir une initiative salvatrice. La sécurité aérienne n’a jamais progressé à force de lois. Ce qui n’enlève rien aux mérites d’Odile Saugues, par ailleurs courageuse dans ses travaux sur la «liste noire» des compagnies infréquentables ou encore celles, lointaines, qui exploitent des «bouts de ligne». Ses démarches sont intellectuellement honnêtes et s’inscrivent dans les limites du rôle dévolu aux politiques. Elle a d’ailleurs déclaré que «la sécurité aérienne n’est ni de gauche, ni de droite. Il ne suffit pas d’avoir de la compassion après une catastrophe aérienne». Exact, et c’est toujours cela de pris.
Pierre Sparaco - AeroMorning