Le succès incroyable (ras-de-marée !) de "Intouchables" m'interpelle et me fait penser à celui tout aussi étonnant des "Petits mouchoirs" il y a quelques mois.
Deux très bons films, mais dont on peut se demander s'ils expliquent à eux seuls la démesure de louanges qu'ils suscitent.
Passez devant un cinéma à n'importe quelle heure, et vous aurez l'impression d'être devant une crémerie en temps de rationnement. Une file interminable de spectateurs qui piétinent dans le froid... Dans la salle, ce sont éclats de rire à la moindre saillie, larmes écrasées et applaudissements à tout va... Chacun communie à sa façon aux bons sentiments sur l'écran.
Il faut dire qu'ils nous font du bien ("en ces temps de crise", comme on nous le répète un peu partout), ils rassurent nos peurs, réchauffent, stimulent le moral ("y a plus malheureux que nous...") et donnent la sensation que nous sommes nombreux (des salles de cinéma entières !) à partager les mêmes valeurs "humaines". Ah, si tout était si simple... Souvenons-nous de la Coupe du Monde de 1998, tout le monde était "black-blanc-beur". Et depuis ?
Il est sans doute facile de se sentir en empathie avec un handicapé (brillant !), amateur d'art contemporain et spécialiste de Chopin, mais beaucoup plus dur de se sentir proche de celui (bien réel) que nous allons croiser dans la rue en sortant du cinéma, et dont le comportement nous inquiète un peu.
Les bons sentiments c'est bien, mais si ça dure...
Si votre envie de découverte de la différence qui fait réfléchir vous taraude, je vous oriente vers la ré-édition du court (mais lumineux) opuscule d'Alexandre Jollien : Eloge de la Faiblesse*. Infirme moteur cérébral et lourdement handicapé depuis sa naissance, ce jeune philosophe (eh oui, il y avait une tête dans ce corps désarticulé !) en donne une bonne raison : "La philosophie est née de l'étonnement de l'homme face au monde. Dépasser le "ça-va-sans-dire" et les clichés de la vie quotidienne, voilà le propre du philosophe".
Son dialogue imaginaire avec Socrate nous rend intelligent. Ca vaut bien tous les bons sentiments du monde, non ?
*Eloge de la Faiblesse, Ed. Marabout, 2011, 3,90 €