Au sein de l’Union Européenne, les pays hors de la zone euro s’en sortent mieux, non pas parce qu’ils sont plus laxiste ou parce qu’ils utilisent la relance budgétaire, mais parce qu’ils ont accepté les réformes libérales indispensables.
Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’aleps
Au moment où la zone euro va de crise en crise et de sommet en sommet, où la récession menace, où le chômage explose, où les désordres monétaires et financiers se multiplient, et où la dette publique devient incontrôlable, il est intéressant de jeter un œil sur les dix pays de l’Union européenne qui ne sont pas dans la zone euro, parce qu’ils n’ont pas voulu y entrer ou parce qu’ils envisageaient de le faire plus tard. En langage européen, les pays OUT par rapport aux pays IN. Le discours politiquement correct est clair : IN, c’est bien, OUT, c’est mal : hors de l’euro, point de salut. La réalité se révèle assez différente.
À monnaie unique, politique unique ?
Lorsque l’euro a été créé le 1er janvier 1999, nous étions alors 15 dans l’Union européenne. Sur ces 15, 12 voulaient entrer dans l’euro, 3 ne le voulaient pas. Sur les 12, 11 ont été admis, un seul a été écarté, la Grèce (déjà !), à l’évidence pas prête à suivre les exigences du pacte de stabilité, notamment en matière budgétaire. Mais en 2001, la Grèce a finalement été admise, en ayant truqué ses statistiques, ce dont personne n’était dupe, mais il fallait à tout prix montrer le succès de l’euro, d’autant plus que les billets allaient être mis en circulation.
Les trois pays qui ont refusé d’entrer auraient pu le faire, sur le plan économique ; mais c’est un choix délibéré de leur part : il s‘agit du Royaume-Uni, de la Suède et du Danemark. Ces trois pays savaient ce qui avait conduit Jacques Delors, lorsqu’il était ministre de l’économie de François Mitterrand, à le pousser à rester en 1983 dans le système monétaire européen et surtout, devenu Président de la commission européenne, à mettre en place la monnaie unique : des changes fixes, puis une monnaie unique imposent des politiques convergentes, ceux qui s’écartent de la rigueur des autres voient les ajustements nécessaires se faire par le chômage ou la récession, s’ils n’acceptent pas la logique du marché, de la compétitivité, de l’adaptation permanente des salaires et des marchés : à monnaie unique, politique unique. J. Delors savait bien qu’en mettant en place la monnaie unique, on en arriverait un jour, grâce à cette bombe à retardement, à une gouvernance européenne, à un gouvernement européen, et enfin à un Etat fédéral : c’est bien l’idée aujourd’hui défendue par la France et l’Allemagne.
17 pays IN, 10 pays OUT
Ces trois pays qui n’ont pas voulu entrer dans la zone euro ont préféré garder leur liberté et mener la politique ou faire les réformes de leur choix, sans les voir imposées uniformément par Bruxelles. La question des autres pays OUT est un peu différente. Avec l’élargissement vers l’Europe de l’Est, consécutive à l’effondrement des régimes communistes, les douze nouveaux pays, amenant le nombre de membres de l’Union européenne à 27, avaient « vocation » à entrer dans la zone euro. Certains le souhaitaient, d’autres non (comme les Tchèques ou les Polonais), d’autres n’étaient pas prêts. Car la zone euro était devenue pointilleuse sur les critères du pacte de stabilité, alors que les premiers adhérents les respectaient de moins en moins : on est plus sévère avec les autres qu’avec soi-même.
Sur les 12 pays OUT (autres que les 3 d’origine), 5 sont entrés dans l’euro, qui concerne donc 17 pays. Les 7 autres sont toujours OUT. À l’évidence, certains n’ont pas encore fait toutes les réformes nécessaires. Mais la plupart des autres, Pologne et République tchèque en tête, sont de moins en moins pressés, face à la tragi-comédie qui se joue dans la zone euro. S’en portent-ils plus mal ? Et comment se comportent les 3 qui ont refusé dés l’origine ?
Les pays OUT ne se portent pas plus mal, au contraire
En matière de croissance, les dernières perspectives économiques de l’OCDE étaient de juin 2011 (elles paraissent tous les six mois). Pour la zone euro, après la récession très forte de 2009, la croissance a été faible : 1,7% en 2010, 2,0 % de prévus en 2011 et 2012. Mais on sait que les troubles dans la zone euro ont conduit à réviser fortement ces prévisions à la baisse. C’est ainsi que pour 2012, le gouvernement français, en présentant le budget il y a quelques semaines prévoyait 1,75% ; le Président de la République vient de rectifier à 1,0%, mais la plupart des instituts privés sont en dessous. D’ailleurs, l’OCDE vient de réviser l’estimation de la croissance dans la zone euro pour 2012 : ce sera 0,3% seulement ! Pour les pays OUT, l’OCDE annonçait pour 2012, 1,8% au Royaume-Uni, 3,1% en Suède, 2,1% au Danemark, ou encore 3,5% en République tchèque, 3,8% en Pologne ou 3,1% en Hongrie.
Autre indicateur, le taux de chômage. Ici, les dernières statistiques de l’OCDE, publiées le 11 octobre pour le mois d’août, montrent un taux de chômage de 10% dans la zone euro. Il y a là quelques pays qui s’en sortent, comme l’Autriche, à 3,7% seulement, ou l’Allemagne, à 6,0%. Mais d’autres sont en pleine catastrophe, comme l’Espagne, avec 21,2% de chômeurs, la Grèce, avec 16,7% ou le Portugal, à 12,4%, tandis que la France est à 9,9%. Pour les pays OUT, le Royaume-Uni est à 8,0%, la Suède à 7,4%, le Danemark à 7,1%, la Pologne à 9,4%, la République tchèque à 6,7%, soit bien moins que la moyenne de la zone euro.
Des politiques monétaires différentes
Pour l’inflation, les choses sont diverses. Selon les statistiques de l’OCDE du 2 novembre, concernant douze mois se terminant en septembre, l’inflation est de 3,0% dans la zone euro. Mais elle est de 5,2% pour le Royaume-Uni, de 1,5% en Suède, de 3,5% en Pologne, et de 2,1% en République tchèque. Les résultats sont parfois meilleurs, parfois moins bons. L’explication est simple : la hausse des prix dépend de la politique monétaire. Si la création de monnaie est maitrisée, avec une croissance raisonnable de la masse monétaire, l’inflation sera faible ; si la création monétaire est excessive, l’inflation sera forte. Cela explique les résultats variables pour les pays OUT qui ont chacun leur propre monnaie.
Dans la zone euro, en raison des statuts de la Banque centrale européenne, la création monétaire a été longtemps maitrisée et l’objectif, atteint jusqu’en 2010, était de moins de 2% d’inflation. Avec le récent laxisme, les politiques de rachat de la dette publique, la création monétaire progresse et les prix aussi. La hausse reste encore limitée, car les mouvements monétaires n’influencent les prix qu’avec retard. On devrait donc s’attendre, avec l’inondation monétaire et l’explosion des déficits et des dettes, à une accélération de l’inflation. Ici les décisions de la BCE sont déterminantes, et la baisse des taux d’intérêt décrétée par le nouveau directeur Mario Draghi n’est guère rassurante.
Le clivage est entre ceux qui acceptent les réformes et ceux qui les refusent
En fait, le choix d’une monnaie n’est pas, en soi, un facteur décisif. On peut en effet avoir une monnaie unique avec des politiques laxistes, comme le souhaitent les adversaires de l’euro fort : ces relances ne peuvent réussir et le chômage réapparaît aussi vite que l’inflation. On peut aussi avoir une monnaie nationale avec des politiques tout aussi laxistes, s’accommodant de « dévaluations compétitives », et des résultats tout aussi mauvais.
Mais on peut assortir une monnaie unique ou une monnaie nationale de politiques rigoureuses, sans dérapage des finances publiques.
Alors, où est le vrai clivage ? La différence fondamentale est entre les pays qui ont fait des réformes et les autres. Dans la zone euro, le clivage est entre les pays rigoureux et les pays laxistes sur le plan budgétaire ; il est entre les pays qui ont réformé le marché du travail (comme l’Allemagne) et ceux qui refusent ces réformes. Et la dérive des pays du sud de l’Europe n’est pas uniquement budgétaire ; elle est d’abord dans le refus des réformes visant à privatiser, libéraliser, assouplir, rendre plus flexible l’économie, ou encore dans le refus de baisser les prélèvements obligatoires pour libérer l’offre.
Quant aux pays OUT, le Royaume-Uni bénéficie encore des réformes libérales de Margaret Thatcher, qui n’avaient pas été remises en cause par Tony Blair. La Suède a accepté de faire des efforts considérables de réformes et de privatisations, qu’on pourrait trouver même radicales pour un pays social-démocrate ; la République tchèque et la Pologne ont fait des réformes qu’on qualifierait en France d’ultralibérales, mais qui sont en fait du simple bon sens.
Oui, hors de l’euro il y a un salut. La preuve : les pays OUT s’en sortent mieux. Mais ils s’en sortent non pas, comme l’imaginent certains, par le laxisme ou la relance budgétaire, mais parce qu’ils ont accepté les réformes libérales indispensables dans une économie mondialisée. Alors, quelle différence entre être dans l’euro ou en dehors ? C’est que les pays OUT sont responsables de leurs erreurs tandis qu’au sein de la zone euro les pays qui refusent de mettre de l’ordre dans leurs finances publiques peuvent emporter tout le monde dans leur chute, au nom de la « solidarité » des fourmis avec les cigales.
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