Sous ses dehors de clone de Mazinger Z (mêmes auteurs ; 1972), Getter Robo s’affirme en fait comme une étape importante dans la maturation du genre mecha, car l’engin vedette ici se compose en réalité de trois appareils distincts – des sortes d’avions à réaction – qui se combinent entre eux pour en former un seul. Et selon l’ordre dans lequel ils se combinent, l’apparence du mecha final diffère ; il y a en tout et pour tout trois combinaisons possibles, soit une pour chacun des pilotes qui prend ainsi la tête du robot, et donc des opérations, en fonction de la configuration adoptée : Getter 1 est la plus versatile, Getter 2 la plus rapide et Getter 3 la plus puissante – en passant de l’une à l’autre au cours du combat, les trois pilotes s’assurent la victoire.
Car par-dessus le marché, chacun de ces pilotes présente une personnalité pour le moins… atypique – pour ne pas dire franchement asociale. Entre Ryouma qui veut laver la mémoire de son père d’un injuste déshonneur, Hayato le hors-la-loi qui fomente sa propre révolution sur les campus, et Musashi qui revient d’un ermitage d’un an pour trouver la voie du judo, on ne peut pas vraiment dire que nos héros s’affirment apr leur banalité. De plus, il va de soi que de tels caractères rencontreront plus de difficultés que d’autres, plus communs, à apprendre à coopérer – encore que cet aspect aurait pu mériter de se voir approfondi davantage, ce que des héritiers de Getter Robo ne manqueront pas de faire.
Or, la manière dont les différentes parties du mecha se combinent présente un aspect tout à fait sexuel : ces différents composants se pénètrent les uns les autres pour former une configuration spécifique, ce qui représente une métaphore assez évidente de l’accouplement de leurs pilotes – au moins sur le plan spirituel. D’autre part, l’amitié virile qui unit les guerriers déborde parfois sur des comportements homosexuels, ou assimilés, surtout dans les armées d’antan. L’exemple des grecs antiques est bien connu, quoi qu’il ne se limite pas aux soldats mais se bâtit néanmoins sur un amour de la figure virile, voire patriarcale. Gustave Flaubert (1821-1880), dans son roman Salammbô (1862), donna lui aussi une illustration de telles relations au sein d’armées du passé.
De sorte que Getter Robo correspond tout à fait à cette interprétation largement répandue maintenant de la branche «Super Robot» du genre mecha qui présente celui-ci comme une sorte de version modernisée du samouraï d’autrefois, sous les traits d’un guerrier à l’armure mécanique prodigieusement sophistiquée. Car il y a deux autres aspects typiques de Getter Robo : l’ultra-violence et le gore. Les combats, ici, s’articulent presque tous autour d’une avalanche de mutilations et de morts toutes plus sanglantes et scabreuses les unes que les autres – autre différence de taille avec le prédécesseur Mazinger Z évoqué plus haut. Outre l’abnégation de soi, Getter Robo retient aussi de la voie du guerrier d’autrefois toute l’horreur du corps-à-corps.
Et voilà donc, au final, comment Getter Robo parvint à mêler ces deux éléments fondamentaux que sont l’eros et le thanatos à travers un récit certes aussi simple que musclé mais qui repoussa néanmoins à l’époque les limites du genre mecha, en s’affirmant ainsi du même coup comme une de ses évolutions majeures – et ceci deux ans à peine après la première révolution du concept que représentait Mazinger Z. Rien que pour ça, les mechaphiles ne devraient surtout pas passer à côté.
Quant à l’adaptation en série TV de ce manga, si elle édulcore beaucoup les divers aspects décrits ici, elle reste néanmoins bien assez fidèle pour se voir conseillée – mais en gardant à l’esprit qu’elle n’égale pas l’original…
(1) Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4), p.71. ↩
(2) terme utilisé au sein des fans d’animes et de mangas pour désigner les personnages particulièrement nerveux et virils. ↩
Adaptations, séquelles et spin-offs :
Getter Robo fonde une franchise dont le succès se perpétue jusqu’à nos jours. Outre une adaptation en comics, sous la forme d’une apparition dans la courte série Shogun Warriors (1979) qui servit pour Mattel à faire la promotion de jouets importés aux États-Unis depuis le Japon, on peut citer sa suite directe Getter Robo G (mêmes auteurs ; 1975) qui connut elle aussi une adaptation en série TV. Mais on peut aussi évoquer les mangas Getter Robo Ark (mêmes auteurs ; date de parution inconnue) et Getter Robo Go (mêmes auteurs ; 1991) dont cinq des sept tomes connurent une édition française chez Dynamic Vision en 1999. Les adaptations en animes, en plus des titres déjà évoqués ici, comprennent plus d’une demi-douzaine de productions dont la dernière en date, le remake New Getter Robo (Jun Kawagoe & Yasuhiro Geshi), sortit sous la forme d’une OVA de 13 épisodes en 2004.
Getter Robo, Go Nagai & Ken Ishikawa
Shogakukan, Inc., avril 1974
2 tomes, pas d’édition française à ce jour