Lundi soir, il y avait deux grosses pointures intellectuelles et politiques
pour débattre de la crise financière à la télévision. Faire campagne, c’est faire un dosage à l’équilibre dynamique fragile entre attaques de mauvaise foi qui abaissent l’adversaire et
propositions concrètes qui apportent de l’espoir aux électeurs. Dans cet art "délicat", le PS a encore un peu de retard…
Les deux hommes sont pondérés et brillants et ont scrupuleusement demandé, ensemble, au début de la législature, au
Conseil Constitutionnel si leurs fonctions de professeur à Science Po étaient compatibles avec leur mandat
de député (réponse du 14 février 2008 : non).
Les deux hommes vont jouer un rôle clef pendant la campagne de l’élection présidentielle de 2012. Ils sont même tous les deux en position de devenir Premier Ministre en cas d’élection ou de réélection de
leur… champion dont ils n’étaient pas, au début, parmi les plus proches.
Le Ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire et
l’ancien Ministre des Affaires européennes Pierre Moscovici étaient les invités principaux de l’émission "Mots croisés" animée par Yves Calvi le lundi 14 novembre 2011 sur France 2. Ce débat entre les deux personnalités,
qui n’est pas le premier et qui sera sans doute renouvelé de nombreuses fois d’ici cinq mois, a donné un aperçu de ce que sera le débat présidentiel : une suite de répliques politiciennes
sans intérêt où l’on se renvoie à la figure mauvaise foi et amalgames.
Pourtant, les deux personnalités sont très intelligentes et sont capables de débats de fond.
Moscovici et Le Maire
Pierre Moscovici (54 ans), jospiniste devenu hollandiste, a cumulé deux DEA en économie et en philosophie
avant de faire Science po et l’ENA (il fut l’élève de Dominique Strauss-Kahn). Originaire d’extrême gauche
à l’époque du premier septennat de François Mitterrand (erreur de jeunesse ?), il fut un proche de
Lionel Jospin à partir de 1988, ce qui l’amena à siéger au Parlement européen, à l’Assemblée Nationale, et
enfin au gouvernement entre 1997 et 2002, aux Affaires européennes, chargé en particulier des discussions sur le Traité de Nice et sur le Traité constitutionnel européen. Il est probablement le
socialiste le plus intelligent de sa génération, mais peut avoir quelques déconvenues politiques, peut-être par une ambition velléitaire ou par une trop grande candeur. Ayant eu pour objectif de
succéder, en tant que strauss-kahnien, à François Hollande à la tête du PS lors du congrès de Reims en novembre 2008, il s’est retrouvé complètement isolé par l’alliance nouée entre Martine Aubry, Laurent
Fabius et Dominique Strauss-Kahn, ce qui l’a finalement conduit à soutenir la motion de …Bertrand Delanoë après avoir brièvement noué une alliance avec Gérard Collomb, Manuel Valls et …Jean-Noël
Guérini. Après une vague hésitation sur sa participation ou pas à la primaire socialiste, il s’est finalement décidé à soutenir très activement François Hollande en devenant son directeur de campagne pour 2012.
Bruno Le Maire (42 ans), villepiniste devenu sarkozyste, est également
très brillant : normalien (il est majeur à l’agrégation de lettres modernes, spécialiste de Proust), il a fait Science Po et l’ENA avant de travailler dans la diplomatie où il commença une
longue collaboration avec son mentor, Dominique de Villepin, jusqu’à devenir son directeur de cabinet à
Matignon. Il décida de se lancer dans la vie politique active en juin 2007 en "reprenant" à Évreux la circonscription de Jean-Louis Debré, nommé Président du Conseil Constitutionnel. Nicolas Sarkozy le nomma le 12 décembre 2008 au gouvernement, aux Affaires européennes, puis à partir du 23 juin 2009,
Ministre de l’Agriculture. Il était régulièrement cité pour occuper des fonctions plus en vue, notamment Matignon ou le Quai d’Orsay en novembre 2010 et Bercy en
juin 2011 pour la succession de Christine Lagarde. Depuis un an, délégué général de l’UMP, Bruno Le
Maire est un homme clef dans le futur dispositif de campagne de Nicolas Sarkozy puisqu’il est le responsable de son projet pour 2012. S’exprimant un peu comme Dominique de Villepin (très grand
comme lui), il est considéré comme le plus brillant de sa génération à l’UMP, à tel point que le sénateur (et ancien ministre) UMP Alain Lambert (ancien centriste devenu UMP n’excluant pas de soutenir François Bayrou en 2012) souhaiterait pour 2012 un ticket Alain Juppé à l’Élysée et Bruno Le Maire à Matignon.
Un point de singularité dans la précampagne ?
Le moment actuel est assez intéressant. La forte hausse de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy parallèlement à la baisse de celle de François Hollande reste encore très incertaine : est-ce
le début d’un redressement présidentiel ou n’est-ce qu’un résultat mécanique après la (trop) longue séquence médiatique de la primaire socialiste ?
Certains, à gauche, commencent d’ailleurs à s’inquiéter du patinage sur place actuel du candidat socialiste.
Daniel Cohn-Bendit a même parlé de la "ségolénisation" de François
Hollande : « Hollande est en train de se ségoléniser. Il a fait une bonne primaire, et juste après, il est déjà en cellule de crise, alors que
rien n’a commencé. » ("Libération" du 15 novembre 2011). Lorsque Pierre Moscovici, pour répondre à la nécessaire adaptation du projet socialiste à la situation financière actuelle, dit
que le candidat socialiste consulte pour rédiger son programme, il prend le même risque que Ségolène Royal à trop rechercher d’avis et à ne pas savoir prendre lui-même de décision.
L’épisode concernant Babar : « Il y a Babar d'un
côté. Moi, je préfère Astérix. Voyez, Astérix, c'est celui qui est courageux, celui qui est déterminé, celui qui est protecteur, celui qui sait prendre des décisions. » de Luc Chatel
(RTL, le 13 novembre 2011) ou le pédalo : « Hollande est un capitaine de pédalo dans la tempête. » de Jean-Luc Mélenchon ("Journal du Dimanche", le 13 novembre 2011) montre la mesure de la fragilité politique de
François Hollande. Même si ce n’est pas très fin, ce sont des expressions qui prêteraient à sourire et sûrement pas de nature à passer dix minutes sur le sujet (même si la critique de Jean-Luc
Mélenchon paraît beaucoup plus menaçante car il cible le même électorat).
C’est du moins ce qu’a dit l’ancien Premier Ministre Michel Rocard, spécialiste en erreurs de communication (!), à Public Sénat le 14 novembre 2011 : « Qu’il se taise. Pourquoi répondre ? » en expliquant : « Toute la presse demande à ce qu’on
commence la campagne électorale. (…) Un candidat sous projecteur des médias s’use, se fatigue. ».
L’un des éléments les plus lourds du début de campagne, c’est le recrutement des 60 000 fonctionnaires dans l’Éducation nationale qui risque de plomber la candidature de François Hollande à
tel point que certains journalistes complaisants lui conseillent de lâcher ce boulet le plus vite possible…
Sur la forme
Le débat entre les deux hommes était très courtois mais Bruno Le Maire a nettement mieux tenu que Pierre
Moscovici. En effet, ce dernier a été décevant car il a cherché à devenir "roquet" en s’opposant parfois avec malhonnêteté intellectuelle à tout ce qui pourrait provenir de la majorité
présidentielle.
Il n’a pas été convaincant car il ne semblait pas croire à ce qu’il disait, son tempérament étant beaucoup
plus consensuel que la fonction qu’il assure désormais (il ne sait pas aboyer), à tel point qu’à un moment de la discussion, il s’est adressé à son interlocuteur avec un très familier et amical
« Bruno » qu’il a vite rattrapé en y ajoutant le patronyme pour reprendre de la distance.
Même lorsqu’il s’agissait d’imaginer son candidat au pouvoir, il ne semblait pas trop y croire, en mettant
des précautions de langage qui lui ôtaient toute persuasion. Et parallèlement, il a voulu être péremptoire, mais pour une personne avec un grand bagage intellectuel, ce n’est pas évident d’être
péremptoire sans état d’âme, comme pourrait l’être un Jean-François Copé par exemple.
Sur le fond
Pierre Moscovici ne paraît pas adapté à la fonction de directeur de campagne car il n’est pas vindicatif de
nature. Il serait plus dans son élément dans la responsabilité du projet de François Hollande par exemple. Bruno Le Maire, face à lui, faisait figure d’homme posé et modéré.
Pourquoi dis-je cela ? Parce que les propos de Pierre Moscovici sont devenus "bourrin", au sens sans
subtilité ni nuance.
Exemple pratique : Pierre Moscovici a accusé Nicolas Sarkozy d’avoir attendu dix-huit mois avant de
résoudre le problème de la dette grec, l’accusant presque d’être à l’origine de la crise financière (!!!). Ce n’est pas Bruno Le Maire qui lui a répondu mais une journaliste qui peut
difficilement être taxée "de droite", Raphaëlle Bacqué, qui a rappelé qu’Angela Merkel ne voulait justement pas aider la Grèce en mai 2010 (à cause de son opinion publique ; il faut se
rappeler les propos anti-grecs de certains Allemands) et voulait même que la Grèce quittât la zone euro. Et c’est Nicolas Sarkozy qui a convaincu la chancelière allemande de finalement tout faire
pour défendre la Grèce dans l’intérêt de l’Europe.
J’ai surtout trouvé que dans son opposition tout azimut, Pierre Moscovici était très contreproductif parce
qu’il avait également sorti des arguments solides qui, visiblement, ne sont pas bien passés malgré leur pertinence.
Alors que Bruno Le Maire réfutait l’idée selon laquelle les agences de notation n’oseraient pas dégrader un
État juste avant une élection cruciale en étant au contraire sûr qu’elles seraient capables de tout et qu’il suffit de voir ce qu’il s’est passé en Grèce (et aussi en Espagne et en Italie), Pierre Moscovici y voyait avec pertinence une contradiction apparente
dans la politique actuelle : pourquoi donc vouloir à tout prix éviter la dégradation de leur note, et donc, leur donner un grand pouvoir si on condamne tant leur attitude ?
La réponse de Bruno Le Maire était de dire qu’indépendamment du diktat des agences de notation, inadmissible,
il restait impératif de réduire l’endettement de la France. Point avec lequel Pierre Moscovici était évidemment d’accord.
Points de convergence sur la dette et l’Allemagne
D’ailleurs, paradoxalement, des points de consensus très larges étaient trouvés dans ce débat, en particulier
dans la nécessaire harmonisation de la politique allemande et française, car l’Allemagne est le principal partenaire commercial de la France et son principal concurrent à l’exportation.
Bruno Le Maire a été d’ailleurs très convaincant lorsqu’il a expliqué que pour la première fois (dans un
parti gaulliste, car c’était pratique courante à l’UDF), il est allé discuter avec la CDU (parti au pouvoir en Allemagne) pour essayer de bâtir des projets politiques cohérents et compatibles.
L’harmonisation n’est pas seulement dans un seul sens (la France qui imiterait l’Allemagne) puisque la CDU a accepté de mettre dans son programme le principe du SMIC.
D’ailleurs, le congrès que la CDU tient en ce moment à Leipzig pourrait être considéré comme historique
puisque le parti d’Angela Merkel accepte désormais le principe de la taxation sur les transactions financières soutenue (tardivement) par Nicolas Sarkozy et aussi l’élection du Président de la Commission au suffrage universel.
Plus globalement, la "guerre" économique nécessite de mobiliser toutes les énergies, et c’est l’intérêt
national qui devrait primer sur les intérêts électoraux. Bruno Le Maire a regretté qu’en France, on n’ait pas pu trouver les conditions d’une union nationale comme l’a réalisée le chancelier allemand social-démocrate Gerhard Schröder au début des années
2000.
Pas de photo à l’arrivée
Ce débat télévisé du 14 novembre 2011 a donc été un avant-goût de la campagne électorale. Il est d’ailleurs
regrettable que les médias ne voient que deux seuls camps (UMP et PS) en oubliant les autres (François
Bayrou avait réalisé plus de 18% en 2007 par exemple).
Sur les idées, il n’a pas fait avancer beaucoup de lignes : on s’est lancé à la figure les arguments
habituels. Le PS s’indigne de l’augmentation de la dette (ce qui est vrai) en oubliant la crise (qui n’est toutefois pas seule en cause dans l’endettement excessif du pays), l’UMP rebalance les
60 000 fonctionnaires, ajoutés aux 300 000 emplois créés de nulle part du projet socialiste, plus la déclaration pour le moins maladroite de François Hollande sur la note de la France,
pour miser sur l’irresponsabilité du concurrent. Bref, rien de très prometteur…
Sur le plan de la communication, en revanche, il n’y avait pas photo : alors que Bruno Le Maire était là
plus pour débattre que pour polémiquer (il est d’ailleurs le premier ministre à admettre publiquement la
rigueur), Pierre Moscovici, jouant un mauvais rôle pour lui de "mouche du coche", n’a pas paru à l’aise dans ses nouvelles fonctions de directeur de campagne. Il aurait mérité de prendre un
peu plus de hauteur intellectuelle.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (16 novembre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande en train de
"ségoléniser" ?
Nicolas Sarkozy au grand oral.
Plan de rigueur.
Bayrou votera-t-il Hollande ?
La rivalité Moscovici-Cambadélis en 2008.
Magazine Société
Bruno Le Maire versus Pierre Moscovici : l’autre combat de 2012 ?
Publié le 16 novembre 2011 par SylvainrakotoarisonDossiers Paperblog
- Personnalités politiques
- Politique
- Politique
- Politique
- Politique
- Politique
- Personnalités politiques
- Personnalités politiques
- Politique
- Politique
- Politique
- Personnalités politiques
- Hommes d'affaires
- Marques
- Auteurs
- Personnalités politiques
- Finance
- Animateur
- Marques
- Europe
- Personnalités politiques
- Sociétés