El Khodor passa…

Par Borokoff

A propos de Khodorkovski de Cyril Tuschi 4 out of 5 stars

Mikhhail Khodorkovski

Documentaire en forme d’enquête sur la personnalité complexe et pour le moins opaque (tout autant que le régime de Poutine) de l’oligarque russe Mikhail Khodorkovski né en 1963 et condamné en 2005 pour « fraude fiscale » et « escroquerie à grande échelle » à 13 ans de bagne en Sibérie. Comme au temps des Tsars…

Qui est Mikhail Khodorkovski ? Le documentariste allemand Cyril Tuschi a mené une enquête sur plusieurs années sur la trajectoire météorite de cet homme d’affaires brillant, fils d’ingénieurs russes juifs de Moscou devenu, au milieu des années 1990 (sous le régime de Boris Eltsine), PDG de la compagnie pétrolière Ioukos puis peu à peu l’oligarque le plus puissant de Russie.

Le plus puissant, et le plus gênant pour un Poutine (devenu Président de la Russie en 1999) soucieux de remettre de l’ordre dans les affaires. Et de réclamer son dû ! Ce que révèle le documentaire passionnant (on serait tenté de dire palpitant comme pour un thriller) et très étayé de Tuschi (dont on imagine les pressions qu’il a dû subir), c’est qu’on ne brave pas le pouvoir comme cela en Russie. Le vrai tort de Khodorkovski, c’est d’avoir pêché par orgueil et de ne pas avoir voulu partager avec le Kremlin. Cette « arrogance » politique n’a eu d’égale que sa soif illimitée de richesse et de puissance financière, dans le contexte libéral, capitaliste nouveau de la Perestroïka.

Evidemment, très peu de gens ont souhaité parler à Tuschi (ce qui donne lieu à des scènes pleines d’un humour décalé), hormis un ancien Ministre de l’économie, des membres proches de la famille de Khodorkovski exilés à New-York et sa mère, restée en Russie. Tuschi est néanmoins parti interroger les anciens associés de Khodorkovski réfugiés en Israël et tenter de comprendre la vérité (une part du moins) sur fonctionnement d’un Kremlin qui fait aussi office de Palais de justice en son pays.

Du documentaire de Tuschi, il ressort que si Khodorkovski n’était ni un ange ni un patron hors de tout soupçon (il est peu probable que ses mains soient restées blanches), mais il n’a jamais été prouvé non plus qu’il était le commanditaire de crimes dont Poutine l’a chargés personnellement comme celui  du maire de Nefteïougansk (en 1998) qui accusait Ioukos de ne pas payer ses impôts locaux. Si Khodorkovski était un homme très sûr de lui et de son bon droit de s’enrichir, s’il est allé jusqu’à narguer un Etat avec lequel il n’a jamais voulu partager (alors que la tradition l’obligeait), le procès qu’a intenté contre lui la justice russe est bien évidemment monté de toutes pièces. Et par Poutine évidemment.

Comment Poutine pouvait-il encore tolérer celui qui, non content d’être devenu en une dizaine d’années l’un des patrons les plus puissants et les plus riches du monde (pas que de Russie), venait en plus le défier ouvertement, comme à cette réunion en 2003 des plus grands patrons du Monde, réunion à laquelle Khodorkovski osa interpeler le Président russe sur la corruption régnant au sein des grandes compagnies pétrolières et comment ce dernier souhaitait l’endiguer ?

Cette réunion scella sans doute le sort du magnant du pétrole. D’autant que Khodorkovski avait affiché clairement son soutien au candidat de l’opposition à Poutine. Khodorkovski ne pouvait que finir en prison. Mais les charges retenues contre lui, cette « évasion fiscale » dont la justice l’a accusée (alors que l’Etat a englouti à son propre compte Ioukos via une société d’investissement fantôme) sont une farce grotesque et absurde comme le délit d’« escroquerie à grande échelle ».

Comment Khodorkovski aurait-il pu « physiquement » faire sortir, pour les revendre illégalement, des milliers de tonnes de pétrole à l’étranger ? Il y a là des arguments plus que douteux dans l’accusation. La grande majorité des Russes pensent que Khodorovski a volé de l’argent à l’Etat (scène d’introduction). La machine qui servait à laver les cerveaux des serfs fonctionne toujours aussi remarquablement bien en Russie.

Encore une fois, il ne s’agit pas pour Tuschi de glorifier Khodorkovski, dont les zones d’ombre demeurent, notamment ce jeu de séduction qu’il joue pour l’Occident. Mais si l’ancien oligarque reste en prison ad vitam eternam, c’est parce qu’il est la « tête de Turc » dont Poutine a voulu faire un exemple et sur laquelle il s’acharne. Khodorkovski serait-il vraiment dangereux s’il sortait de prison et ralliait l’opposition ? Et de quelle opposition parle-t-on ? Des questions restent sans réponse.

Pourquoi Khodorkovski continue-t-il de braver l’Etat ? Au nom de quel sacrifice ? Pourquoi n’abandonne-t-il pas sa position héroïque de manager bravant seul un Etat contre lequel il est impuissant? Khodorkovski, qui a tout perdu, aimerait prouver au monde entier qu’il s’est légitimement enrichi et que l’Etat lui a fait payer très cher de ne pas vouloir partager. Il aurait pu monnayer sa libération avec l’Etat. Il ne l’a pas fait. Etrange, comme le fait d’être rentré en Russie alors qu’il était en voyage aux Etats-Unis et qu’il savait très bien qu’il serait arrêté à son retour. Sept oligarques russes ont fui le pays dès le lendemain de son arrestation. Poutine voulait couper une tête. Celle du « coq » le plus beau, le plus séduisant et le plus charismatique. Le plus menaçant et dangereux pour sa souveraineté aussi. Il l’a fait de la manière radicale et intransigeante.

Quant à la personnalité complexe de Khodorkovski, le mystère reste entier, aussi opaque que le fonctionnement ancestral de l’Etat russe et d’un Poutine dont la cruauté (il est « étroit d’esprit » d’après un ancien Ministre) n’a rien à envier à celle des Tsars…

www.youtube.com/watch?v=Np5A8iHh3_s

Documentaire allemand de Cyril Tuschi (01h51).