Passante et seule
Ne bouge plus souris
Un court bonheur de moi va te photographier
Le petit oiseau mon espoir va sortir
Te prendre
Un deux trois
La photo triste développée
Est réussie
Pourquoi n’as-tu pas bougé
N’es-tu pas partie avant d’arriver
(mars 1941)
Christian Dotremont, Œuvres poétiques complètes, Paris Mercure de France 1998, p.90
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Dépoésie
À cris chantés je me perds : né hibou, devenant rossignol, par habitude.
Avec ce compteur Geiger qui nous permet de trembler devant une herbe et de ne pas ciller dans le feu.
Né irlandais, devenant Suisse, jouant alors à trois aiguilles de temps, sans la moindre écrasure.
Le cri a beau être jet de boue et de sang, tout de suite s’y plante le roseau de Pan.
Cette boue et ce sang d’ailleurs s’étendent, se régularisent, obtiennent des papiers, s’abonnent à l’espace et au vent, et soufflent avec tendresse.
Le cri naît parfois nœud, bœuf sur la langue, œuf immense, et se présentent aussitôt, le coquetier, le mot, le ciseau élégant.
Fascinant Mexique, dit l’affiche, mais le lexique le fascine.
Né œuf dans la gorge, le cri finit en plume de pigeon, chatouille alors le cœur, et kilikilise. Une eau d’aisselle défait le muscle.
L’obstruction originelle devient construction, maçonnerie ; la cible lourde s’affute, se convertit en flèche de cathédrale.
La botte de sept lieues devient bas de laine, le château d’Espagne caisse d’épargne, et cela est ignoble. Il est temps que nous déchantions.
(1956)
Christian Dotremont, Œuvres poétiques complètes, Paris Mercure de France 1998, p. 274
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DANS UN GESTE
si j’enveloppe les fruits dans un geste je les serre pourtant contre ma main
mes distances mes libertés ne sont pas désinvoltes
si je regarde de loin ou de près le lointain
mon affection et mon désir ne cessent pas d’être niveau qui tienne la démesure
si je viens d’ailleurs et trouve sur la table la chose ou si je viens de moi-même ma main
reste caresse et tremblement crainte et silence panique baiser
si je suis les lignes de la main de ce que je vois et déchiffre les mouvements
si je les épaule
si je touche ce que je disais
Christian Dotremont, texte tracé au pinceau par l’auteur dans une peinture-mots avec Pierre Alechinsky, huile sur toile, 89 x 145 cm. 1957. Œuvres poétiques complètes, Paris Mercure de France 1998, p 311.
[choix de textes de Pierre Herlent]
bio-bibliographie de Christian Dotremont