Car, à en croire l’autobiographie du peintre anonyme héros de ce livre, ce dernier a pratiquement tout vu, connu, inventé. Son influence, sur les arts de la fin du XIXe et du XXe siècle, se révèle donc capitale. Amant, à quinze ans, de Sarah Bernhardt, cet artiste précoce fut admiré par Degas et Daumier. Très tôt, il se lia avec Cocteau, Matisse, Carco, Francis Jammes, Maillol. Il fournit à Méliès le titre de son célèbre film, Le Voyage dans la lune, à Gide Si le grain ne meurt, à Orwell 1984 et à Proust l’idée de la « madeleine ». Il servit en outre de « nègre » à Anatole France pour L’Ile aux pingouins, conseilla Mondrian, séduisit Gertrude Stein, inventa le glissisme, le ponctualisme, le cubisme, pluma Einstein au poker, joua aux échecs avec Duchamp, encouragea Breton à écrire son Manifeste du surréalisme, écrivit lui-même Histoire d’O ; ses Demoiselles d’Orange furent pillées par Picasso (auquel il apprit la poterie) pour composer la toile que l’on devine et, grâce à lui, Sartre découvrit le Flore. S’il ne s’était pas exilé aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale, peut-être aurait-il rédigé l’Appel du 18 juin à la pace du Général, qui sait ? Encore ne s’agit-il là que d’un bref aperçu des exploits dantesques de l’artiste et de son impressionnant carnet d’adresses.
Pour autant, foisonnent aussi dans ce texte des allusions subtiles qui prouvent l’étendue de la culture de Topor et incitent le lecteur à traquer le clin d’œil complice. Ainsi, évoquant les courses qu’il effectuait à pied pour Van Dongen, Braque ou Salmon entre la rive droite et la rive gauche, le héros précise : « Je m’acquittais toujours avec bonne humeur de ces missions de confiance […]. Léon-Paul Fargue, qui me suivait comme une ombre, s’attribua mes aventures déambulatoires. Il en fit plusieurs volumes dont les droits lui permirent de se déplacer en taxi. » A ne surtout pas manquer !
Illustration : Roland Topor, La Grosse tête, 1970.