Ses sculptures de fer et de sable sont des maisons englouties, parfois minuscules comme des
Lego (en haut :
Day, Havdalah, Midnight) et parfois à taille humaine ; de certaines, on ne voit, émergeant du sol du musée, qu’un morceau de toit, un pignon, un vestige d’après catastrophe. D’autres sont faites pour qu’on se mesure à elles, qu’on s’y confronte, qu’on se désole à ne pouvoir pénétrer dans leur pénombre, qu’on s’épuise à les sentir, à les jauger, qu’on les scrute à travers leurs ouvertures.
D’autres sont des tables, vitrines emprisonnant le sable qui y dessine des cratères, laissant parfois filtrer la lumière pour dessiner au sol la contre-ombre d’une table de festin, comme dans cette photo subreptice où, aux pieds de la visiteuse, se voient assiettes et couverts. S’y marient le sable et le fer, le mou et le dur, le faible et le fort, le malléable et le rigide, contradictions et synthèses. Tout ici est tension, entre le permanent et l’éphémère, la terre et les cieux, le vivant et le mort (qui revit autrement).
Une de ses
pièces les plus connues est
Who What, deux empreintes de corps côte à côte, l’un mâle l’autre femelle, chaque orifice du corps étant transposé dans le sable ; de plus les côtes de l’homme forment une grille (j’aurais dû les compter : Adam ?) et leurs bouches se répondent du Who au What, lèvres fermées ou grandes ouvertes. C’est une pièce sur le genre bien sûr, et sur le sexe, mais aussi peut-être sur le temps, et notre bref passage sur terre, nous qui retournerons à la poussière.
A l’extrême, il y a cet unique grain de sable mis en scène sous loupe et projecteur, en fait invisible à l’œil nu, élément essentiel, rouage du monde.
Une grande salle conserve les empreintes d’une performance faite en Juin dernier (Wedding), un simulacre de cérémonie de mariage juif, sur laquelle
Ullman a projeté non du riz, ni des fleurs, mais de la terre rouge ; la couleur sanguine est-elle de bon augure ? On voit au sol les piétinements, le verre brisé, la trace d’un meuble, une archéologie triste de ce qui fut joyeux, sans doute, un vestige pompéien ou nucléaire.
Il y a enfin de nombreux dessins ; certains commémorent son travail berlinois sur l’autodafé de livres par les nazis (Bebelplatz) ; d’autres, faits à la main chaque jour d’un mois lunaire, sont des signes astronomiques, calendaires, temporels. L’un d’eux, inhabituel car bleu et noir, m’a frappé : son titre, ambigu : Nachtag, journuit. De lui, aussi, cette sculpture dans le jardin du Musée.
Ullman n’est guère connu en France (davantage en Allemagne, je crois) et c’est bien dommage : ce fut, pour moi et d’autres, une des révélations de ce voyage. Dommage que le catalogue ne soit qu'en Hébreu ! C'est aberrant.
Dans le reste du Musée, récemment rénové à grand frais, il y a de tout : du pire (un arc-en-ciel d’Eliasson,
Whenever the rainbow appears, réduit à l’état de banale mais spectaculaire décoration murale au fond d’un long couloir agrémenté de Maillol, Rodin et
Arp) et du meilleur (cette sculpture d’
Anish Kapoor –qui fut recalé à l’examen
d’entrée à Bezalel, me dit-on – qui renverse le monde, Up and Down). On y retrouve toutes les contradictions de ce pays, des photographies (Helmar Lerski, Jack Rosner) de pionniers sionistes qui sont en tous points les frères des héros staliniens du réalisme socialiste ou nazis de Leni Riefenstahl, une collection d’art israélien, conception nationaliste, avec un seul artiste arabe (Sharif Waked et son Chic Point) – le lendemain, chez une grande collectionneuse israélienne, même constat : exclusivement de l’art israélien, parfois ringard (les années 50), parfois excellent (Michal Rovner) et une seule artiste arabe (je me souviens d'une autre broderie d'elle vue ici il y a trois ans).
Au Musée d’Israël, les sarcophages du XIVème siècle avnat JC trouvés à
Gaza sont chez eux (Eretz Israel), et la synagogue de Vittorio Veneto aussi (chère à Michelangelo Penso). On y retrouve le sel de la Mer Morte avec
Sigalit Landau (grande artiste dont, le lendemain, nous visiterons l’atelier avec tant de plaisir) et l’arrogance de Reuven Rubin (hélas),
James Turrell avec cette coupe du ciel sans cadre, sans frontières que, méditatif, on contemple depuis une banquette (
Space that Sees) et le Love de Robert Indiana en hébreu, qui n’est pas encore l’emblème du pays ou de son armée.
Une découverte au Musée :
Efrat Natan, avec cette ronde de faux (
Swing the Scythe), signe de récoltes fructueuses ou de carnages conquérants ? Les deux, sans doute. Et aussi, d’elle, cette
Tente au mur, entre canopée de mariage juif et maison nomade bédouine, comme un objet céleste, envoûtant, irréel.
Finalement, les critiques les plus acerbes dans ce pays viennent souvent d’œuvres ambiguës, polysémiques de jeunes artistes israéliens, et ça me plait (plus que les pseudo-indignés du boulevard Rothschild).
Photos 4 & 6 courtoisie du Musée d'Israël; autres photos de l'auteur, exceptée la n°2. Ce voyage a été fait en compagnie d’un groupe d’Amis de la Maison Rouge, ce billet n'exprimant évidemment que la vision personnelle de l'auteur.