L’Europe n’a pas fini d’organiser des sommets historiques pour juguler la crise de la dette publique, mais a perdu en chemin une sagesse élémentaire: la confiance ne se décrète pas, elle se mérite.
Un article de Stéphane Montabert, de Renens, Suisse
Version courte: l’Italie est fichue.
Version longue: lisez donc!
Lundi, après une fin de semaine chargée, les marchés réalisent que l’Italie et l’Europe ne sont pas sorties de l’auberge… Etonnant!
La semaine dernière s’était pourtant bien terminée: l’infâme Berlusconi avait gentiment été poussé vers la sortie sous les huées. L’Italie se parerait désormais d’un gouvernement de « techniciens » – et c’est sensé être un compliment.
Pourtant, l’Italie est plus en péril que jamais, comme nous allons voir.
Lorsque Silvio Berlusconi a annoncé sa démission, les taux italiens à 10 ans qui défrayaient la chronique sont redescendus nettement sous la barre des 7%:
Reste que 6.50% est un taux d’intérêt insupportable pour l’Italie, comme pour tout pays européen perclus de social-démocratie.
Mais entre-temps, que faire lorsqu’on doit emprunter et qu’on est un peu serré aux entournures? On fait comme n’importe quel foyer devant renouveler son hypothèque en période de vaches maigres, on tente de trouver des astuces. Au lieu de se resservir avec une hypothèque « taux fixe dix ans » on essaye d’en prendre une à durée plus courte, cinq ans ou trois ans par exemple, dans l’espoir de payer moins cher…
Le taux à court terme est moins élevé que le taux à long terme, puisque le prêteur se sépare de son capital moins longtemps, et il y a des chances que les taux soient quelque peu redescendus à la prochaine échéance.
C’est ce qu’a tenté l’Italie.
Et elle a échoué. Deux fois. Jeudi dernier et ce lundi.
Jeudi dernier – alors que la démission de M. Berlusconi était déjà acquise – l’Italie a emprunté à un an et a dû payer un taux d’intérêt de plus de 6%:
Les taux d’intérêt des titres à un an émis par le Trésor italien ont atteint jeudi le niveau record de 6,087% et ont donc presque doublé par rapport à la dernière opération similaire datant du 11 octobre, où ils s’étaient inscrits à 3,57%.
Ce lundi, rebelote, l’Italie tente l’emprunt à cinq ans et doit là encore payer plus de 6%:
Les taux d’intérêt à cinq ans payés lundi par l’Italie, lors de la première émission de dette après la désignation dimanche de Mario Monti à la tête du gouvernement, ont fortement augmenté à 6,29%contre 5,32% lors de la dernière opération similaire le 13 octobre.
Malgré le départ d’un chef d’Etat italien focalisant l’attention, l’apaisement reste très relatif, comme on le voit. Quand on emprunte à un an à 6%, à cinq an à 6.29% et à dix ans à 6.4%, l’avenir ressemble à un cul-de-sac.
Le technocrate nouvellement promu Mario Monti – Conseiller de Goldman Sachs sur les questions internationales depuis 2005, ces gars-là semblent incontournables – affronte des vents contraires.
Quelle que soit l’échéance choisie, l’Italie semble donc condamnée à payer environ 6% d’intérêt par an pour financer sa dette courante.
A terme, il faudra renouveler des tranches pour 120% du PIB italien – équivalent au « chiffre d’affaire » de l’entreprise Italie (c’est une grossière approximation du rôle de l’Etat dans l’économie, que mes lecteurs libéraux me pardonnent ce raccourci!)
Toutes choses étant égale, il faudrait donc à l’Italie un budget en équilibre et une croissance annuelle de 7.2% pour stabiliser sa dette, si elle lui coûte 6% par an. Pas pour la réduire d’un iota, non: seulement pour la maintenir au niveau actuel, à 120% du PIB, sans qu’elle n’empire sous son propre poids.
Il est vrai que la dette italienne est composée d’en-cours qui n’a pas été contracté avec un taux d’intérêt aussi élevé, heureusement. Mais voyons ce que donne la croissance trimestrielle italienne entre 1996 et aujourd’hui:
Ce n’est pas brillant. Depuis quinze ans, l’Italie n’a jamais atteint un niveau de croissance suffisant pour soutenir sa dette au prix auquel elle lui serait facturée aujourd’hui. Elle ne gardait la tête hors de l’eau que parce que les taux étaient plus… Allemands, disons. Mais depuis que la méfiance est revenue dans la zone euro, le noeud coulant des intérêts s’est resserré autour de son cou.
Le budget de l’Etat italien n’est pas équilibré. Pas de beaucoup, mais quand même dans le rouge: chaque année la dette se creuse un peu plus.
Et l’Europe pourrait bien affronter une récession en 2012. C’est-à-dire une croissance négative. La croissance homérique requise pour diminuer la dette italienne tient toujours plus de la chimère: selon le FMI, l’Italie ne dépassera pas 0,6% cette année et 0,3% en 2012.
L’Italie doit renouveler 240 milliards d’euros en 2012. Ce n’est pas la plus grosse année, mais c’est une belle tranche. Souvenons-nous que la dette grecque totale avoisinait les 350 milliards d’euros… La dette italienne se monte à 1900 milliards.
Reste enfin le danger le plus important, le risque politique. Silvio Berlusconi défrayait la chronique avec ses affaires de moeurs, mais s’il passe à la postérité c’est pour avoir été le seul homme politique italien a être parvenu à doter la péninsule d’un gouvernement stable.
Silvio Berlusconi n’a pas creusé la dette italienne; il en a hérité. On peut certainement lui reprocher de ne pas être mieux parvenu à la dompter, mais c’est oublier que le régime italien est notoirement instable et que des réformes trop expéditives auraient forcément fait voler en éclat la coalition sur laquelle reposait son gouvernement.
Mario Monti, qui lui a succédé sous pression des hautes autorités européennes, a été intronisé sur les bases d’une coalition encore plus hétéroclite. Mario Monti n’a même pas été élu par le peuple. Sa légimité est très faible et sa marge de manoeuvre infime, alors même que les réformes à entreprendre sont colossales.
Il ne peut qu’échouer. Ce n’est pas ce que je lui souhaite, mais la froide analyse de la situation.
Quand bien même réussirait-il le tour de force de réformer l’Italie en pleine crise de la dette et avec une assise politique vacillante, il faudrait aussi à l’Italie une forte croissance et une confiance retrouvée pour ne pas sombrer sous l’effet de la dette accumulée.
On veut bien faire preuve d’espoir mais il y a un moment où il faut se rendre à l’évidence: ici, c’est mission impossible.
L’Europe n’a pas fini d’organiser des sommets historiques pour juguler la crise de la dette publique, mais a perdu en chemin une sagesse élémentaire: la confiance ne se décrète pas, elle se mérite. Pour les marchés financiers comme pour le reste.
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