Le “Jour d’Après” (les élections présidentielles US de 2012). Manifestations, troubles sociaux et affrontements feront “la Une” des médias, par Juan Vargas, Mexico.
"Dès le résultat des élections présidentielles 2012 connu, les espoirs et les craintes d’une société profondément en opposition éclateront sous forme d’affrontements et de manifestations de rue. Jusqu’à cette date, ces sentiments seront canalisés par les médias et les discours de campagne électorale, chaque camp espérant que son point de vue sociétal (les progressistes supportant Obama et l’aile droite américaine soutenant le candidat républicain) se voit le gagnant avec une apothéose digne d’Hollywood marquant la fin des problèmes de l’Amérique. Hélas, le “Jour d’Après” se vivra comme un dur retour à la réalité, où les problèmes sont bien présents et où rien n’a changé, à part le désespoir total de la population envers le monde politique, quelque soit le vainqueur.Les signaux avant-coureurs sont déjà là, sous nos yeux ; manifestations à Madison dans le Wisconsin, à Wall-Street, sit-in sur les campus universitaire à travers le pays ou encore manifestations d’immigrants latinos. Madison est la ville qui a connu ce que nous pourrions qualifier de prologue d’un mouvement social. D’une part, plus de 100 000 travailleurs et leurs familles s’installant dans le siège du Gouverneur pour défendre leurs droits à négocier sur la base de conventions collectives existantes que le Gouverneur veut abroger. D’autre part, les frères Koch, une des familles les plus riches au monde, priant sur internet les habitants de descendre dans la rue pour défendre le Gouverneur (1). On assiste là aux manifestations les plus importantes en 40 ans, en fait depuis la guerre du Vietnam (2).
Et ce n’est qu’un début ; le feu se propage à d’autres états tels l’Ohio, l’Iowa, l’Idaho et l'Alaska. Notons qu’un sondage USA Today/Gallup annonce que 61% des américains s’opposeraient à la mise en place d’une loi similaire à celle du Wisconsin dans leur Etat (3). En fait, la vraie bataille est entre des travailleurs qui luttent pour leur survie et des Républicains qui font tout pour mettre les syndicats à genoux pour diminuer leur capacité de résistance lors des combats à venir (4) et tarir une source de financement d’Obama nécessaire à sa campagne pour un second mandat. Plusieurs facteurs ont mené les USA dans l’impasse dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui. Principalement l’état lamentable du système d’enseignement qui est sans doute le pire du monde industrialisé (ou développé).
Les dysfonctionnements de ce système génèrent non seulement une extrême pauvreté, des inégalités et une violence souvent à l’origine de manifestations, mais il interdit aussi tout débat sur ce qui se passe aux USA, la responsabilité de l’Etat et les directions qu’il souhaite prendre. Pour illustrer cet état, notons que 50% des adultes sont incapables de lire un livre du niveau “fin de primaire” ce qui les condamne à être mis en marge de la société. A tel point que certains Etats projettent le nombre de places nécessaires en prison pour partie sur les résultats de test de lecture d’écoliers. L’illettrisme est en lien direct avec la pauvreté, le taux de crime et d’internement (5). A titre d’exemple, la ville de Detroit, la plus affectée par ces phénomènes connait un taux d’analphabétisme de 47% (6). L’échec de ce système éducatif fait passer l’Amérique à côté de l’essentiel et entraîne une chute du niveau du débat d’idées dans les domaines sociaux, politiques ou économiques. “Sur-simplifications” et idées toutes faites sont la norme, les medias étant souvent l’exemple de références Kafkaïennes. D’une part, nous avons les carences de ce système éducatif qui font le lit du dogmatisme et de l’affrontement systématique dans les débats socio-économiques et politiques. D’autre part, nous avons d’autres facteurs qui, une fois combinés avec ces carences, nous conduisent tout droit vers les troubles sociaux, les affrontements et les manifestations de rue. La plupart de ces facteurs, déjà identifiés lors du printemps arabe et du mouvement des indignés sont :
-Une augmentation des prix des produits alimentaires,
-Le chômage,
-Le manque de perspectives pour la jeune génération,
-La pauvreté,
-Les inégalités sociales,
-La perte du domicile.
Les denrées alimentaires ont connu leur plus forte augmentation en 36 ans, touchant des pans entiers de la population (7), celle-ci devant puiser dans ses réserves (aussi faibles soient-elles) pour assumer des dépenses alimentaires et/ou énergétiques (8). Les Américains sont en train de perdre espoir et nombreux sont ceux qui ne croient plus au “rêve américain” (43% on perdu cet espoir) (9). Côté emploi, les perspectives ne sont pas meilleures. En fait, la situation est catastrophique. Parmi ceux qui ont la chance d’avoir un travail, 35% ont vu leur salaire baisser (10). Et même si le taux de chômage officiel était de 9% dans le rapport d’avril 2011, le même rapport nous montre que le taux d’emploi de la population U.S. était de 58,4% (11). Et, quand bien même vous auriez la chance d’avoir retrouvé un job, il y a fort à parier qu’il sera moins payé que le précédent. Ainsi, pendant la récession, 23% des boulots étaient des bas revenus et 49% des nouveaux emplois étaient des emplois à revenu faible. Pour couronner le tout, il est très difficile de décrocher un emploi à durée indéterminée (en 2010, 26% des emplois étaient des CDD, à comparer avec les 7% lors de la récession de 2001 (12)) et les conservateurs continuent leur destruction des syndicats pour la raison qu’un travailleur syndiqué touche 200$ de plus par semaine qu’un travailleur non-syndiqué. En conclusion, deux chiffres, le taux de chômage des jeunes de moins de 24 ans est de 17,6% (13) et 5,8 million de travailleurs on été inscrits au chômage pour des durées supérieures à 6 mois.
Comme nous pouvons le constater dans le schéma ci-dessus, les USA ont le taux de pauvreté le plus élevé des pays industrialisés. Et cette pauvreté continue d’augmenter dans la logique de la crise économique et financière, les revenus de la classe moyenne continuant à se dégrader, impactant d’autant plus ceux qui ne sont pas passés par l’université (12% de perte au cours du dernier quart de siècle) (14). Les signes d’aggravation pour la population pauvre sont là :
-Les clients de Wal-Mart, ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts, achètent une quantité au début du mois, quand leur compte est créditeur, puis vivent au jour le jour, à court de liquide,
-Les achats s’effondrent avec les fins de mois (15),
-43 millions d’américains (1 sur 7) vivent grâce à l’aide alimentaire, ce qui représente une augmentation de 16% en un an (16),
-6 de ces 43 millions n’ont pas d’autre revenu, pas de cash, pas d’assurance chômage, pas de retraite ou de pension d’invalidité, pas d’aide à l’enfance (17),
-Selon le Census Bureau, 1 enfant sur 5 aux USA vit dans la pauvreté (18),
-En 2007, 62% des faillites personnelles étaient dues à des dépenses médicales, sachant que 75% de ces personnes étaient couvertes par une assurance maladie,
T.R. Reid, journaliste au Washington Post, a posé la question au Président de la Confédération Helvétique : “Combien de personnes, en Suisse, se sont-elles déclarées en faillite personnelle à cause de frais médicaux qu’elles ne pouvaient assumer ?“. Le Président Pascal Couchepin a répondu “Aucune. Ca n’arrive jamais. Ce serait un scandale énorme si cela se passait.” (19)
Nous pourrions continuer ainsi “ad infinitum” avec les statistiques. Les faits sont incontournables, la population américaine s’appauvrit de jour en jour à vitesse croissante. Mais cela ne suffit pas d’être pauvre. Il y a en plus le fait que les gens ont parfaitement conscience des ressources de leur pays et de ses inégalités de revenus. Ainsi, les USA ont un des taux les plus élevés de disparité des revenus selon l’index Gini, comparable aux écarts que connaissent des pays aux revenus plus faibles, tels la Russie ou la Turquie. Notons qu’en 1915 (un siècle), le 1% le plus riche de citoyens américains représentaient 18% des revenus, aujourd’hui ce 1% représente 24% de la totalité des revenus (20). Cerise sur le gâteau, nous constatons sur le schéma que le taux d’imposition d’Exxon Mobil est inférieur au taux moyen d’un individu, ceci se vérifiant, non seulement pour d’autres corporation (GE, GM,…), mais aussi pour les individus les plus riches en général. Dernier aspect de cette paupérisation galopante: la perte de leur domicile par les citoyens les plus pauvres (sans compter la crise systémique financière et économique, de la fin du QE II, de la crise des bons d’état et des bons municipaux, des coupes budgétaires qui vont toucher les Américains):
-Les ventes de logements familiaux se sont éffondrées de 80% en février 2011 comparativement au pic de 2005
-Les ventes de maisons unifamiliales neuves sont à leur plus bas depuis que l’on collecte ce type de statistiques (1963) alors qu’à l’époque les USA ne comptaient que 260 millions d’habitants (21)
-En 2010, 2,9 millions de propriétaires ont reçu une assignation d’expulsion (en augmentation de 2% par rapport à 2009 et de 23% par rapport à 2008 (22)
- A ce jour, 5,5 millions de propriétaires ont un retard de 90 jours ou plus sur leur échéance de prêt immobilier
- 20% des propriétaires sont en retard de paiement
- 3,5 millions ont reçu un avis d’expulsion
- 1,5 millions sont dans la période de “non rachat possible de leur dette” (23)
- Enfin, 15 millions d’Américains ont une dette supérieure à la valeur de leurs biens
- Et 27% sont “sous la ligne de flottaison” (24)
Nous réalisons que les tendances sont là, et que les ruptures sont déjà bien engagées, qu’après le QE II et le pseudo QE III (qui ne dit pas son nom), nous n’échapperons pas aux coupes budgétaires féroces. Quel que soit le niveau de gouvernement (fédéral, Etat fédéré, local), la colère des Américains va exploser car ils réaliseront que le peu qu’il reste d’un fragile et maigre filet de sécurité a complètement disparu. Durant la seconde moitié de 2011 et en 2012, les manifestations et les protestations ne feront qu’augmenter. Canalisées par la campagne électorale et les médias, ces évènements resteront sous contrôle. En fait, ce sera la dernière fois que les électeurs essaieront d’influencer le débat politique par des moyens pacifiques. Mais ce débat ne fera qu’accroître les oppositions et nous devons craindre d’assister à la plus “sale” des campagnes présidentielles de notre histoire. Une fois l’élection passée, et quel qu’en soit le résultat, le “Jour d’Après” verra les manifestations et les protestations se transformer en troubles sociaux, affrontements et émeutes." source
1. “Class war in Wisconsin”, 22.02.2011, The Guardian
2 “US left finds its voice over Wisconsin attack on
union rights”, 24.02.2011, The Guardian
3 “Poll : Americans favor union bargaining rights”,
23.02.2011, USA Today
4 “Tomgram : Andy Kroll, Union-Busting or Republican-
Busting in Wisconsin?”, 31.03.2011, TomDispatch
5. “Illiteracy : The Downfall of American
Society”, 13.06.2011, Education-Portal
6. “Nearly Half Of Detroit’s Adults Are
Functionally Illiterate, Report Finds”,
05.07.2011, The Huffington Post
7. “Food prices increase most in 36 years”,
16.03.2011, CBS News
8. “US consumers use savings to pay for
basics”, 28.03.2011, The Telegraph
9. “John Zogby : The American Dream
redefined”, 29.03.2011, BBC
10. “John Zogby : The American Dream
redefined”, 29.03.2011, BBC
11. Source : Bureau of Labor Statistics
12. “Tomgram : Andy Kroll, Welcome to the
McJobs Recovery”, 08.05.2011, TomDispatch
13. “The Jobs Numbers and the President’s
Job”, 08.05.2011, The Huffington Post
14. “Of the 1%, by the 1%, for the 1%”,
05.2011, Vanity Fair
15. “Wal-Mart’s customers are running out of money”,
28.04.2011, Truthdig
16. “1 in 7 Americans rely on food stamps”, 21.12.2010,
CNN
17. “Living on Nothing but Food Stamps”, 02.01.2010, The
New York Times
18. “Hunger in America : 2011 United States Hunger and
Poverty Facts”, 25.09.2011, World Hunger Notes
19. “We’re #1 -- Ten Depressing Ways America Is
Exceptional”, 20.04.2011, AlterNet
20. Source : Income inequality in the United States,
Wikipedia
21. “Builders of New Homes Seeing No Sign of Recovery”, 22.04.2011, The New York Times
22. “2010 Had Record 2.9 Million Foreclosures”, 13.01.2011, ABC
23. “Current Foreclosure Statistics in the U.S.”, 04.02.2011, Twin Cities Real Estate
24. “Homeowners Hit Brick Wall, With Many Owing More Than Homes Are Worth”, 09.02.2011,
Fox News