Bon. Et le lien avec les frites dans tout ça? J’y arrive de ce pas.
Je devais avoir neuf ou dix ans. Tous les dimanches, depuis l’achat de la friteuse, c’était devenu une tradition. Maman épluchait les patates, les coupait et les faisait tremper dans l’eau. Puis, elle les essuyait avec un linge à vaisselle.
Papa descendait au sous-sol pour s’occuper de la cuisson. Il remontait plus tard nous offrir un large bol de cette concoction du paradis. Maman répartissait d’une main experte la manne dorée dans chacune de nos assiettes.
J’en salive encore de gourmande expectative.
Toujours selon la tradition, ma petite sœur examinait les portions et s’écriait : Dodo en a plus que moi! Alors, maman échangeait nos assiettes sans broncher. Et moi? Sachant que je plaisais aux deux, je m’inclinais volontiers. Rien n’altérait ma joie de les savourer jusqu’à la dernière, ces affriolantes frites!
Ce n’est pas tout. Cette anecdote me réservait une croustillante révélation.
De nombreuses années passèrent. Après une journée d’emplettes, maman m’invita à dîner. M’observant en train de manger avec délectation de vraies frites maison, elle eut cette question : Dodo, te rappelles-tu, petite, que ta sœur voulait tout le temps avoir ton assiette de frites? Bien sûr que oui.
Des papilles éblouies n’oublient pas leurs premières amours culinaires.
Ma mère poursuivit. Eh bien, Dodo, comme je savais ce qu’elle allait dire, je faisais exprès pour mettre plus de frites dans son assiette. En te donnant la sienne, c’était toi qui en avais le plus. Je pensais qu’elle finirait par s’en apercevoir. Et qu’elle comprendrait que le fait d’envier ton assiette l’empêchait de voir qu’elle en avait plus que toi au départ.
Vous devinez ma surprise!
J’ai tout le temps eu autant de frites que j’ai voulu avoir! Et lorsqu’il m’arrive de croire que d’autres ont ce que je n’ai pas, elles me rafraîchissent la mémoire.
Mademoiselle Conservation nous dit que l’abondance se trouve partout en permanence. Que ce qu’on envie ailleurs est là pour nous indiquer ce qui est déjà… en vie chez soi.
À nous de trouver dans notre réalité la forme précise de nos objets de convoitise!