L’ENFANT (1882)
Après avoir longtemps juré
Que jamais il ne se marierait,
Jacques Bourdy
Avait soudain changé d’avis.
Comme il était étendu sur la plage,
Il regardait marcher le long du rivage
Les jolies baigneuses.
L’une d’elles, sans doute plus voluptueuse
(On le disait viveur et sensuel.)
Retint son attention…
Qui se transforma vite en passion.
Et il épousa la belle
Qui s’appelait Dorothée
Ses parents avaient longtemps hésité,
Retenus par la mauvaise réputation
De Jacques qui avait eu une forte liaison.
Mais il avait promis avoir rompu
Et juré de ne plus rencontrer
Celle avec qui il avait vécu.
Les lettres d’elle qu’il recevait,
Il les déchirait
Sans les ouvrir et les brûlait.
Le soir de la noce, Jacques et Dorothée
S’étaient retirés du bal de bonne heure
Et restaient
Main dans la main, sans parler.
Ils se contemplaient,
Savouraient leur bonheur.
Soudain à leur porte on frappait.
Un domestique apportait
Une lettre urgente. Jacques la prit,
La lut et saisi
De peur,
La peur des brusques malheurs,
Il balbutia : -Ma chérie,
C’est…c’est mon meilleur ami…
Il a besoin de moi tout de suite,
De façon fortuite.
Permettez-moi de m’absenter…
Je vais revenir sans tarder.
Il descendit l’escalier.
Arrivé dans la rue,
Il relut
Le papier :
« Mademoiselle Ravesse,
Votre ancienne maîtresse
Vient d’accoucher d’un enfant
Qu’elle prétend
Être de vous. La mère va mourir.
Elle vous implore de venir.
Elle est malheureuse et digne de pitié.
Votre serviteur, Docteur Motier. »
Quelques instants après, il pénétrait
Dans la chambre de la mourante.
Elle agonisait.
Un médecin la soignait.
Dans son berceau, l’enfant riait.
À chacun de ses vagissements,
La mère essayait un mouvement.
Elle saignait.
Malgré les soins, l’hémorragie continuait.
Elle reconnut son amant
Et voulut lever les bras.
Elle ne put pas.
Jacques baisa son poignet frénétiquement.
En haletant, elle dit :
-Je vais mourir, mon chéri.
Ne me quitte pas maintenant,
Ne me quitte pas avant le dernier moment.
-Sois tranquille, je vais rester.
Elle fut un temps sans pouvoir reparler
Tant son corps était oppressé, défaillant.
-Je n’ai pas aimé d’autre homme que toi
N’abandonne pas notre enfant.
Promets-le-moi.
-Je te le jure ; je vais l’élever.
Elle tendit ses lèvres pour l’embrasser.
Puis elle demeura immobile sur le lit.
Le médecin déclara : -C’est fini !
Jacques s’enfuit, l’enfant dans ses bras.
Il rentra
Rejoindre Dorothée.
Livide, il haletait.
Elle courut à lui :-Qu’y a-t-il ?
Dites, qu’y a-t-il ?
Il avait l’air fou : -Il y a…
Il y a …
Que j’ai un enfant.
La mère…vient de mourir.
Puis, sans plus rien dire,
Il confia le bébé
À Dorothée
Et l’embrassa.
-La mère est morte, vous dites ?
-Oui, dans mes bras, tout de suite….
J’avais rompu depuis…Je ne savais pas…
…C’est le médecin qui…m’a écrit.
-Eh bien, nous l’élèverons, ce petit !
Affirma Dorothée
D’un ton décidé.