L’A340 ne figure plus au catalogue d’Airbus.
La page est tournée et elle suscite une certaine émotion chez les anciens : le quadriréacteur long-courrier A340 se retire sur la pointe des pieds de la gamme Airbus, au terme d’une carrière honorable, 376 exemplaires vendus. C’est la fin d’une époque dans la mesure où le marché en a décidé ainsi, confirmant la suprématie des biréacteurs. Ces jours-ci, trop de commentateurs affirment à tort que c’est le Boeing 777 qui a eu raison de l’avion européen, oubliant tout simplement que c’est aussi l’A330 qui a gagné la partie. Quasiment un frère jumeau dans la mesure où A330 et A340 sont identiques, le nombre de moteurs mis à part. Un doublé original, le premier du genre, un double programme industriel lancé en juin 1987.
Ce tandem a marqué un tournant décisif dans l’histoire d’Airbus qui, à l’époque, détenait à peine 17% du marché mondial avec les A300B et A310. Jean Pierson, administrateur-gérant clairvoyant et audacieux, entendait monter rapidement à 30% et, grâce aux A330/A340, allait permettre à l’Europe d’afficher de grandes ambitions en matière de long-courriers. Un objectif qui avait valeur de symbole et qui bénéficiait notamment d’un fort soutien de l’Allemagne. Laquelle avait défendu l’idée dès la définition du concept tout d’abord appelé TA 11 (Twin Aisle TA 11) flanqué du TA 9 biréacteur.
A cette époque, il y avait matière à discussion. Fallait-il aller de l’avant sans plus attendre ou donner la priorité à un 150 places, futur A320 ? Finalement, les circonstances permirent à Jean Pierson de lancer les deux opérations à un an d’intervalle, un sacré pari. Bien lui en prit.
Cet épisode est déjà suffisamment lointain pour commencer à s’effacer des mémoires. Aussi a-t-on perdu de vue que les A330/A340 faisaient vraiment passer Airbus à la vitesse supérieure. Et cela non sans difficultés, les politiques n’étant pas vraiment convaincus du bien-fondé de cette manière de faire qui, aux yeux de certains, comportait des risques exagérés.
Ainsi, Jacques Douffiagues, ministre français des Transports (récemment disparu), avait-il estimé préférable de tendre la main à Douglas et de tenter de fusionner les projets TA 11 et MD-11 pour donner naissance à un avion américano-européen. Heureusement, Jean Pierson choisit secrètement la désobéissance et contribua à faire échouer la négociation entre Toulouse et Long Beach. «On ne peut brader Airbus», pensait-il très fort, mais sans pouvoir se permettre de le clamer urbi et orbi. Ainsi naquit l‘A340, en même temps que son «petit» frère.
Si le succès fut mitigé, toutes proportions gardées, c’est un raison de la généralisation de la formule ETOPS, Extended Twin Operations, qui a progressivement permis aux biréacteurs de survoler les océans en s’éloignant de plus en plus de pistes de déroutement. A partir de ce moment, il devenait de plus en plus difficile de convaincre les compagnies aériennes d’opter pour le confort opérationnel rassurant du «quad». D’autant que le concept ETOPS favorisait aussi le Boeing 777.
Airbus n’en chercha pas moins à développer davantage l’A340 et misa sur la version allongée 340-600 (plus de 75 mètres de long !) qui, en configuration deux classes, pouvait emporter 380, voire 419 passagers. L’objectif commercial était d’attaquer le marché de la succession des 747 Classic de première génération. Mais 97 exemplaires seulement en furent vendus.
Vint ensuite une fausse bonne idée, celle du 340-500 très long-courrier. Cette version, moyennant l’emport d’une charge commerciale réduite, pouvait par exemple desservir sans escale la ligne Singapour-Los Angeles, en 19 heures de vol. Mais, pour ce faire, l’avion devait emporter une quantité telle de carburant que le bilan économique en devenait mauvais. A peine 36 exemplaires en furent vendus.
Ce sont les A330/A340 qui ont donné à Airbus le visage de la maturité et la force d’affronter Boeing d’égal à égal. L’imposante usine Clément Ader, inaugurée en octobre 1990 par François Mitterrand, a illustré cette dimension nouvelle. La crédibilité du constructeur européen, précédemment imparfaite et fragile, en a été renforcée, avant même le lancement brillamment réussi de l’A320. D’où la signification particulière que revêt le point final de la carrière industrielle du quadriréacteur qui, il y aura bientôt 25 ans, était porteur de grands espoirs. Lesquels ne furent pas déçus.
Pierre Sparaco - AeroMorning