Esprits voyageurs

Publié le 27 octobre 2011 par Parent @LEGOBALADIN

De Blaise Cendrars à Edouard Glissant
Imaginons un univers peu à peu déserté par la poésie, la littérature, la philosophie, et livré aux seules sciences dures, comme le suggère le classement de Shanghai des universités du monde.
Qu’en serait-il, dès lors, de la survie de nos espaces intérieurs ?… Écoliers, collégiens, lycéens, étudiants, on nous a présenté autrefois une foule d’auteurs « au programme ». Bien des années plus tard, à l’épreuve de la vie adulte, nos esprits de lecteurs se sont aiguisés jusqu’à devenir capables de mimer intérieurement des univers imaginaires entiers.
Alors, comme surgi d’un répertoire ancien, chacun de ces créateurs s’est révélé à nos consciences en nous parlant du monde, simplement, à sa façon unique et passionnante, tel qu’il brille désormais pour nous, en vrai Voyageur de l’esprit.
À la suite de " Passions à l’Oeuvre ", son premier essai publié en 2009, l’auteur nous entraîne, à travers l’espace et le temps, dans le flux magique de la littérature. Un flux capable d’irriguer notre coopérative idéale : celle des Lecteurs réunis.
Jean-Marie PARENT, ancien journaliste et professeur des écoles à Loches (37), est membre de l’Association des auteurs et éditeurs de Touraine.
EXTRAITS DU LIVRE :
" Ce n'est que longtemps après, comme au détour d'un sentier de montagne noyé dans une brume tenace, que le " voile de Maya " s'est enfin déchiré, découvrant à nos yeux encore vierges des paysages neufs, inconnus .../... "
" .../... Notre pouvoir existe bel et bien d’aborder aux rives de « cet autre en soi » ; il s’agit ni plus ni moins, pour ce faire, que de dresser les éléments volatiles d’une cartographie personnelle. En exerçant notre regard sur le monde, il peut nous être donné d’étendre notre champ de conscience aux frontières de continents jusque là ignorés – même si pressentis parfois -mais rarement abordés. En quête de ces lieux intérieurs, nous nous posons alors la question neuve d’un sentiment géographique du monde, sentiment issu de nos origines et construit, bien souvent à notre insu, depuis l’enfance .../... "
" .../... Maints contes nous présentent un héros se mettant en quête d’une chose précieuse, un trésor peut-être. Des années plus tard, devenu vieux, notre « Ulysse » revient chez lui, apparemment bredouille. Et c’est justement sur les berges de ce retour qu’il découvre le trésor qu’il cherchait …et qui était là depuis le début !... Se pourrait-il que nous ayons, nous aussi, achevé notre odyssée, et que nous nous soyons endormis sur la plage de notre prétendu paradis perdu, sans le pouvoir de nous éveiller ?... Ne devons-nous pas alors, à l’image d’Ulysse, nous dégager d’abord de la brume, pour saisir la vérité d’ensemble du chemin parcouru ?... Pour pénétrer bientôt dans les failles d’un monde « entr’aperçu », celui de nos atlas imaginaires. La Terre Natale de nos entre-mondes … /... " " .../... Le hasard, point de confluence des menues étincelles vivaces, entretenues à fleur de conscience, à la pointe extrême des émotions. Le hasard, ce fils prodigue – et prodige – de la nature et de l’esprit, toujours en vadrouille, en éveil, en partance pour des chemins de traverse, des marches singulières.../.. "

" .../... Laisser la langue enflammée de Camus – la langue, sa seule, sa vraie patrie – venir s’incarner dans la foulée élastique de L. : c’est bien là, il le pressent, entreprendre la géographie d’un certain bonheur. C’est sur ce balancement qu’il faudrait, sinon s’arrêter, du moins revenir sans cesse. L’émotion pure guette les corps qui s’abandonnent à la fusion des éléments : l’air, l’eau, la terre, le feu solaire… et la langue commune, profonde, pour dire tout cela en puisant aux sources physiques de nos sensations. « Le monde est beau, et hors de lui point de salut », murmure Camus à l’oreille de L. avant de s’absenter.../... "

" .../... Encouragé, enivré, et comme bercé par la ronde pure et juste des mots, L. sent sa foulée pénétrer le paysage, son corps ne faisant plus qu’un avec la grandeur minérale, recouvrant ainsi de très lointaines origines. Abrité sous la course épurée d’un soleil vif allant à son zénith, et la suivant fidèlement à contrecourant, à contre-feu, L. a tracé un chemin unique, lieu bienheureux de tous les hasards…/... "

" .../... Notre odyssée de lecteur aboutirait-elle enfin là, de même qu’elle y a pris racine, lors de notre naissance au fait écrit ? Là où nous rêvions peut-être de revenir, sans oser l’espérer. Pas d’inquiétude dans ce sentiment de l’ailleurs, mais la tranquille évidence d’être enfin chez soi. Celle de l’Eternel Retour qui fit la joie d’Ulysse, hardi navigateur au long cours et lecteur passionné de nouveaux mondes à explorer../... "

" .../... Au détour de son « Insoutenable légèreté de l’être », le romancier Milan Kundera nous souffle une vérité aux accents à la fois légers et puissants : chacune de nos consciences se trouve dotée d’une mémoire poétique, à l’image de l’« arrière-boutique » de Montaigne ou de la « citadelle intérieure » de Goethe. Alors, se livrer à l’acte d’amour ?... oui, mais sur un fond d’orage qui fixe à jamais la texture de cet amour dans toute sa singularité. Ce qui se « trame », n’est-ce pas cela qui donne à notre existence l’épaisseur de l’inoubliable ?... La vie et son double, métaphore juste de la création littéraire.../... "

.../... « Un après-midi de lecture est plus rempli d’événements qu’une vie entière », assure Marcel Proust. Rêveurs véloces sur le fil bruissant des livres, nous savourons de soyeux instants d’éternité. Notre esprit, porté par le flux écrit de l’aventure intellectuelle, se fait nageur reconnaissant et vient expirer sur des p(l)ages à nouveau vierges et brûlantes d’une attente jamais comblée.

Argonautes passionnés de l’univers des Lettres, nous continuons d’aborder les terres inconnues de nos commencements... "