“Si l’on se projette, quelqu’un comme Nicolas Sarkozy aurait tout intérêt à être premier ministre” B. François le 28 octobre 2011
Bastien François, inaccessible ? Son cv impressionnant pourrait le laisser penser : il dirige actuellement le département de science politique à la Sorbonne, enseigne et se trouve être un spécialiste de sociologie politique et de droit constitutionnel. Par ailleurs, il est conseiller régional en île de France sous l’étiquette de EELV.
D’emblée, Bastien François, lorsque j’aborde la 6e République, me répond de manière politique. Ce projet est au loin, les négociations entre EELV et le Parti Socialiste ne portent pas sur ce sujet. Il s’agit plus de tractations sur un aménagement de la Ve République. Ce dont j’avais envie, c’était que Bastien François se lâche, me décrive le projet rêvé, son utopie, sans contraintes, ce qu’il aurait bâti s’il était aux commandes. Certaines choses restent à définir, bien entendu mais la base est là, portée en grande partie par le travail collectif du livre.
“Le monde, les relations sociales ont changé. L’accès généralisé aux études supérieures, l’ouverture des horizons géographiques, l’info largement diffusée ont contribué à bouleverser notre société. Ajoutez à cela le phénomène de la précarisation. Incroyablement, le seul truc figé c’est la politique. On reste avec des politiques qui infantilisent les électeurs, finalement. Sans compter une défiance vis-à-vis des jeunes, qui, eux sont de plus en plus angoissés. La Ve république, finalement, c’est la grande messe tous les cinq ans et pendant ce laps de temps, les électeurs n’ont quasi aucun droit. J’ai envie d’une exubérance démocratique. C’est ça la 6e République pour moi.”
Abattre les murs, sortir la France politique de sa léthargie, bouger les lignes, Bastien François s’y emploie concrètement en tant que conseiller régional. Il a institué “un droit d’interpellation populaire” permettant aux Franciliens de saisir par voie de pétition les élus régionaux. Je n’en savais strictement rien. Il suffit d’une pétition réunissant 50 000 signatures et on peut y participer dès l’âge de 16 ans. À l’évocation de cette victoire, Bastien François aura un sourire fier. Pour lui, l’important, c’est de trouver des outils pour que les politiques fournissent des réponses “au quotidien” aux questions que se posent légitimement les électeurs, des moyens pour faire surgir des problèmes qui n’émergent jamais du fait que les politiques sont probablement trop éloignés des Français.
“Je trouve aberrant que, dans ce pays, certains partis ne figurent pas au sein de l’Assemblée. La proportionnelle, peut-être pas en totalité mais partielle est indispensable. Comment voulez-vous répondre aux électeurs du Front National s’ils ne sont pas représentés ? Une assemblée nationale où il n’y a pas d’élus FN n’a pas de sens. Par ailleurs, il faut cesser le cumul des mandats, créer un turn over au sein de la politique. Pour que la démocratie fonctionne, il faut que les pouvoirs nous échappent en quelque sorte.”
Vous trouverez ci-dessous des schémas, certes imparfaits, pour expliquer les mécanismes de la 6° République rêvée de Bastien François. A la base, on trouve une constituante 2.0. Pour l’instant, par manque de moyens financiers et techniques, cette idée est au point mort. Sur la base de ce qui s’est fait en Islande sur le G1000 en Belgique, instaurer un débat entre citoyens pour déterminer quelles sont nos valeurs, qu’est-ce que la démocratie, qu’est-ce que la politique. Finalement, à contrario du débat sur l’identité nationale, ne pas déterminer ce qu’est qu’être français, mais ce qu’est la France, du moins, ce qu’elle représente et comment fonctionne-t-elle ? Un forum, des débats filmés et retransmis seraient les supports par exemple. Tout est possible. À noter que comme le racontait Lara Orsal, on pourrait très bien se servir du système Freemen. On pourrait imaginer qu’une série de recommandations émergeraient. Tout ceci constituerait une base de discussion générale.
Au chapitre proprement dit d’une 6e République : les électeurs se prononceraient sur le choix des députés et sénateurs ainsi que le Président de la République : “Le rôle du Président serait non pas exécutif mais il serait en quelque sorte un garant. Le garant des valeurs que nous choisissons, et son pouvoir s’inscrirait sur le long terme, un genre d’arbitre avec une capacité à saisir les institutions. On peut imaginer que cela soit un prix Nobel par exemple, une figure emblématique. Ce ne serait pas forcément un homme politique. Le mandat ne serait pas de cinq ans mais plus long de façon à ce qu’il ne soit pas dans le même tempo que le parlement. Un décalage nécessaire pour un travail sur du long terme.”
Le rôle de l’exécutif serait confié au Premier Ministre et au gouvernement : “Si l’on se projette, quelqu’un comme Nicolas Sarkozy aurait tout intérêt à être premier ministre plutôt que Président au sein de cette 6° République.”
La notion de grands électeurs disparaît : “Ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient en créant le Sénat et son système : c’était forcément un vote conservateur à l’époque. Le sénat a changé, le monde a changé. Si l’on pousse plus loin, la philosophie des Lumières n’avait pas prévu la profonde transformation du monde par les humains.”
Le parlement serait composé de trois chambres : l’assemblée nationale représentante du peuple, le sénat représentant les régions (Une très grande décentralisation est nécessaire), et la troisième chambre, elle, représente la société civile et se pencherait sur les conditions naturelles de vie : “une nouvelle chambre parlementaire dédiée aux enjeux environnementaux, l’«Assemblée du long terme», composée de personnalités qualifiées et de citoyens tirés au sort. Sa légitimité ne repose pas sur le principe représentatif, mais sur sa capacité à se dégager du court terme. Préserver la biodiversité ou la stabilité du climat sont des objectifs à caractère universel et non des intérêts catégoriels. Le problème n’est donc pas de représenter tels intérêts contre tels autres. En conséquence, cette troisième chambre ne vote pas la loi, dans une délibération où s’affronte fatalement ce type d’intérêts. Elle peut uniquement, en amont, concevoir et proposer des projets de loi liés au long terme, comme la refonte du système fiscal favorisant une économie économe de ses ressources. En aval, elle dispose d’un droit de veto constructif sur les lois avant leur promulgation, qui contraint les assemblées à délibérer à nouveau. Son pouvoir consiste avant tout à injecter dans le débat parlementaire la préoccupation du long terme, à imposer justement qu’on en débatte.” (source Libération). Pour l’instant, il reste à déterminer comment et qui les choisirait, à priori, ce serait une des attributions du parlement.
Une chose à laquelle Bastien François tient beaucoup c’est la notion de débat et de contradiction : “Le conflit est perçu comme quelque chose de négatif. Regardez les réactions quand au sein d’un parti des voix dissidentes se font entendre. Tout de suite, c’est le drame. La grille de lecture concernant le conflit est exacerbée alors que la confrontation d’idées contradictoires est saine pour une société. Le délibératif est une des solutions.” Pour cela deux leviers : le véto constructif et l’expression d’opinion contradictoire encouragée. Il y a de nombreux partis en France, et avec la proportionnelle, si l’on positionne l’opposition parlementaire en “la renforçant dans sa fonction d’interpellation, dans sa capacité à mobiliser des instruments de contrôle, d’investigation et d’évaluation des politiques publiques, vous créez un véritable espace délibératif parlementaire”* (Page 12 de l’ouvrage «Pour une 6e République Ecologique«). Le débat démocratique doit rester en permanence vivant.
Le Conseil Constitutionnel ne serait plus composé d’anciens Présidents ou désignés par le même système. Les présidents des chambres proposeraient des candidats. Ils seraient auditionnés par le parlement et élus par lui. Une qualification technique serait nécessaire pour ses membres afin que cette institution fonctionne pleinement.
Toutes ces réformes, y compris celles du scrutin “seront incapables de corriger les effets de ce que Robert Michels, au début du XXe siècle, a appelé “la loi d’airain de l’oligarchie”, qui saisit toutes les organisations y compris les plus démocratiques : reproduction endogamique et concentration du pouvoir au sein de la classe politique. D’où la nécessité de favoriser l’accès aux mandats et la rotation de leurs titulaires.(…) C’est sous la Ve République que la proportion des cumulants a connu une progression considérable (en 1988, 96% des députés sont des cumulants). (…) La suppression stricte du cumul avec l’instauration d’un mandat unique serait bien comme l’a dit Guy Carcassonne, la « mère de toutes les réformes ». Il faudrait la compléter par la limitation dans le temps de l’occupation d’un mandat afin d’obliger à une véritable rotation ».* (Page 76 de l’ouvrage «Pour une 6e République écologique«)
Ce qui compte pour Bastien François finalement, c’est que le dialogue, voire le conflit ait lieu : “Créer le débat et donner du temps voilà le nouvel enjeu de la démocratie finalement. Et de la compétence grâce à l’intervention de la société civile. Pour autant, je suis sans illusions, cette 6° République naîtra sur un coup de force ou sur une circonstance historique. Les actuels politiques sont un microcosme parisien. Ils se connaissaient tous. Michel Rocard, pour répondre brièvement à sa tribune dans le Plus du Nouvel Obs, était mon héros auparavant. C’était un type extrêmement moderne. Mais il est comme les gens de cette génération, comme mon père, il vieillit et la politique est à un tournant majeur. Regardez la résolution de la crise européenne : Angela Merkel s’est rendue tous les jours au Parlement, elle a discuté, dialogué. Nicolas Sarkozy l’a joué tout seul. Aucun débat n’a eu lieu. C’est une vision obsolète du pouvoir.”
Bastien François sourit quand il me raconte que, la plupart du temps, les politiques le prennent pour un fou : “Je vais dans le sens de l’histoire. J’aimerais si je dois laisser une trace “sociale” de mon existence qu’elle soit liée à la 6e République. C’est le projet d’une vie dont je ne verrais peut-être même pas la naissance. Mais ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est d’en faire partie.”
Je l’interpelle sur une toute petite chose qui me travaille, et qui me semble symbolique de la Ve République : les titres religieux du chef de l’État, vieille réminiscence de la royauté, proto chanoine, chanoine honoraire, etc. « Je ne les conserverai pas » me dit-il. J’en suis satisfaite car je crois une coupure nécessaire avec cette tradition qui n’a plus de sens. D’ailleurs, notre seul désaccord avec Bastien François sera sur la laïcité. Il voit tout à fait l’utilité de redéfinir ce qu’est la laïcité de nos jours, pour moi, la loi de 1905 et ses ajustements sont largement suffisants. Une autre question brièvement abordée sera celle de la loi en France. Je ne sais plus qui en a parlé mais fort du principe que nul n’est censé ignorer la loi dans ce pays, il me semble ahurissant qu’une refonte du code civil et pénal, ne parlons pas de l’administratif ne soit pas envisagée. Bastien François veut bien y réfléchir mais il n’a qu’un seul objectif : la 6e République, écologique de préférence.
Instaurer grâce à des institutions une exubérance démocratique, c’est cela le but de Bastien François. Je rajouterai pour ma part que la France est un grand pays, patrie des droits de l’homme et de ce qui s’approche le plus d’une démocratie. Mais tout cela a été dévoyé. Nous sommes en oligarchie. Ce que je trouve formidable avec le projet de Bastien François et de ses compagnons de route, c’est que si la 6e République était instaurée, la France aurait réinventé la démocratie au sein du XXIe siècle. Les possibilités pour les citoyens de participer existent, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. Il faut s’adapter. Les taux d’abstention sont parlants, on élit un “roi” et les “états généraux” et on s’en détourne aussitôt. Afin de donner un coup de fouet, il faut faire bouger les lignes dans les institutions pour restaurer la confiance auprès des électeurs. Ce ne sont pas les partis qui sont en cause quelque part mais le système lui-même, un système qui n’affronte quasi aucune contradiction politique. La présence de la société civile serait un des moyens de les déclencher. Par ailleurs, le temps de la politique telle qu’on l’a connue, une politique du court terme est terminée. Les enjeux sont colossaux, l’humanité a appris au cours du XXe siècle que son monde avait des limites, des limites en terme d’écologie et en terme de systèmes économiques et politiques. Réinventer la démocratie est impératif ; la 6e république en est l’incarnation pendant que la Ve n’en finit pas d’agoniser…
*« Pour une 6e République écologique » sous la direction de Dominique Bourg aux Editions Odile Jacob