J’aime bien sortir ma boule de cristal, m’assoir carrément devant elle, seul, dans un endroit absent de bruit, la frotter légèrement avec mon mouchoir blanc et l’orienter vers les questions qui m’interrogent. Je suis particulièrement curieux, ces jours-ci, de savoir ce que sera le résultat de la prochaine campagne électorale au Québec.
Mais avant de procéder à cette séance, et de vous révéler le fond de la pensée de ma boule, laissez-moi vous relater les évènements qui m’ont amené aujourd’hui à la questionner.
Premier ministre du Québec depuis 2003, Jean Charest a gagné son troisième mandat de cinq ans, le 8 décembre 2008, en faisant élire une majorité de députés libéraux à l’Assemblée Nationale du Québec. Cependant, la tradition veut qu’une nouvelle élection soit décrétée aux quatre ans. Donc, on peut penser que la prochaine se tiendra vers décembre 2012.
Cette date explique la raison pour laquelle le PM Charest a retardé la mise sur pied d’une commission d’enquête sur la construction. Après avoir réussi sa stratégie, il vient de confirmer que son gouvernement a finalement décidé de créer la commission et de lui accorder tous les pouvoirs que confère la loi sur les commissions d’enquête. Il a nommé la juge France Charbonneau, recommandée par le juge-en-chef, pour la présider. Elle sera appuyée par deux autres commissaires. Ces excellentes nominations garantissent la neutralité de cette importante commission et j’en suis fort heureux puisque je l’ai réclamée dans le billet de mon blog intitulé « Rien ne va plus », il y a déjà 30 mois.
Préparer une commission d’enquête d’envergure n’est pas une mince tâche. On estime que le premier témoin ne pourra être entendu avant un an, soit au début 2013. Comme il est vraisemblable que la prochaine élection soit décrétée avant, j’en conclus que Jean Charest a bien joué pour son parti libéral. Il savait que de telles commissions publiques peuvent exposer les manèges des partis politiques et voulait protéger le sien de retombées possiblement négatives. On saura tout, mais après l’élection.
Charest fera campagne sur les nombreuses réalisations de son gouvernement et rejettera toutes insinuations d’agissements suspects des membres de son parti prétextant qu’elles seront analysées par la commission et qu’on ne peut préjuger de ses conclusions. Il rappellera, avec preuves à l’appui, qu’il a tout fait pour répondre aux problèmes qui jaillissaient du milieu de la construction. Il citera les nombreuses lois adoptées à cet effet par le parlement, la création de l’unité permanente anticorruption (UPAC) et le rapport Duchesneau sur la collusion au sein de la construction.
Suite à la crise 2008, Charest, toujours avec raison, affirmera que le Québec a mieux fait que les autres provinces canadiennes et cela grâce à sa vision qui lui a fait lancer, à temps, d’immenses projets d’infrastructures partout au Québec : hôpitaux universitaires, autoroutes, ponts, bâtiments des toutes sortes, etc… ainsi que son encouragement au privé à investir avec confiance, ce qui s’est fait. Et ça continue avec le Plan Nord …
Mais ce ne sera pas facile pour le parti libéral, car il a seulement, en début de campagne, 25% d’appuis dans la population. Ils viennent surtout d’un nombre restreint de « purs et durs » libéraux francophones, dont les hommes d’affaires et les chefs d’entreprises, et du support indéfectible des anglophones, des juifs et des néo-québécois.
De son côté, le Parti Québécois, l’opposition officielle, vit des heures difficiles. Il est dans les limbes politiques et ne réussit qu’à attirer vers lui à peine 20% de l’électorat. Tous les jours, il perd de ses ardents supporteurs, les « purs et durs » séparatistes, qui n’aiment pas la chef Pauline Marois. Ils dénoncent sa politique de « gouvernance souverainiste » qui ne prône pas clairement l’indépendance du Québec. Ils ne cessent de déblatérer partout contre elle : dans les blogs, les sites internets et les autres médias.
Puis, il y a le parti de droite, l’Action démocratique du Québec (ADQ). Il végète depuis que son chef-fondateur l’a quitté pour une nouvelle carrière hors-politique. Ses 13% d’appuis n’augurent rien de bon si une campagne électorale est vitement déclenchée. Le nouveau mouvement de droite Réseau-Québec n’a pas su susciter suffisamment de ferveur pour changer les choses. Malgré que le vote centre droit soit majoritaire au Québec, l’ADQ n’en bénéficie pas.
Il y a aussi le petit parti socialiste et indépendantiste Québec Solidaire, qui bataille pour augmenter sa présence à l’Assemblée Nationale. Son problème est que ses dirigeants, dont Ahmid Khadir, n’aiment personne. Ils honnissent les gens de la droite, les grandes corporations, les hommes et femmes d’affaires, les petits marchands, les péquistes, les libéraux, les fédéralistes, le système capitaliste, etc… et à les entendre ils ont toujours raison et tout le monde est voleur, trompeur, tricheur. De vrais marxistes-léninistes. En réalité, ils leurrent les pauvres gens en racontant des histoires de bonhomme sept heures.
Enfin, François Legault, ex-ministre péquiste et hommes d’affaires – il a créé Air Transat – trône, depuis plusieurs mois, en haut des sondages. Le mouvement, « Coalition pour l’avenir du Québec » (CAQ), qu’il a lancé a pris son envol dès le début. Il s’est adressé aux vrais problèmes et proposé des solutions draconiennes pour les résoudre. Legault l’a transformé en parti politique. Plusieurs de ses amis le voient PM et comparent sa montée dans les sondages à celle de Jack Layton pour le NPD le 2 mai dernier. Ils en concluent une victoire similaire. Aujourd’hui, le CAQ est considéré comme le gagnant de la prochaine élection et Legault comme le prochain premier ministre.
Jean Charest réussira-t-il son pari ? Question difficile… C’est là que j’ai décidé de consulter ma boule de cristal. Et j’ai été surpris !
Avec une clarté inhabituelle, j’ai appris la démission de Jean Charest. Ses tergiversations pour accorder un plein mandat à la commission Charbonneau ont eu raison de lui. Pour aider son parti, Jean Charest a dû laisser sa place à un autre aspirant en espérant que celui-ci, un homme nouveau, saura raviver la flamme libérale. Quant à lui, il entreprend une belle carrière d’avocat dans une grande étude légale de la métropole.
Pauline Marois, incapable de démontrer aux péquistes sa capacité de gagner l’élection, a quitté son poste devant la crise au PQ qui s’est amplifiée. Après 9 ans d’opposition, ses « éléphants », comme on dit en France, ont faim. Ils ont choisi un nouveau chef qui a fait l’erreur d’axer sa campagne en grande partie sur l’indépendance du Québec. Sa campagne n’a pas levé.
Le QS a piétiné sur place.
L’ADQ a finalement rejoint le CAQ. Le début de la campagne a été fracassant, mais au fur et à mesure de son déroulement, François Legault a perdu des points de sondage à cause de son manque de charisme. Il n’a pas réussi à toucher profondément les électeurs. Il n’a pas su expliquer clairement son programme politique. Ses amis ont finalement compris qu’il n’est pas un Jack Layton car il a démontré qu’il n’avait ni son expérience, ni sa sensibilité, ni son humanisme. Malgré qu’il soit un bon homme, il n’a pas passé la rampe !
Le parti libéral a été réélu minoritaire, le CAQ et le PQ ont partagé les autres comtés sauf ceux du QS qui a gagné un deuxième comté à Montréal et deux ex-députés péquistes réélus sous la bannière péquiste-indépendant.
Et là, ma boule de cristal s’est embrouillée.
Claude Dupras