Siaghi Krimo, un Algérien de 29 ans, habitant de la ville d’Oran, capitale économique de l’ouest Algérie (470 km à l’ouest donc), ville du Raï en berceau et en live, des derniers cabarets encore tolérés au pays de la plus grande mosquée d’Afrique promise par Bouteflika.Que s’est-il passé ? Selon le résumé de l’affaire, Krimo est un converti au christianisme, grosse hérésie moderne aux yeux du conservatisme, aux yeux de l’article 142-Bis 2, acte un de l’inquisition et aux yeux de son voisin qui ira le dénoncer à la Police.
Accusé de quoi ? Officieusement de « Ridda », d’apostasie et officiellement de prosélytisme et d’insulte contre le Prophète de l’Islam. Interpellé le 14 avril dernier, Krimo sera présenté à la justice algérienne puis jugé en cycle, de procès en procès, jusqu’au premier verdict qui est tombé une semaine avant les fêtes de l’Aïd et le jour même de l’incendie des locaux du journal satirique français, Charlie Hebdo.
Qui est le juge ?
Durant le procès, le procureur de la République, alias le représentant de l’Etat, prendra soins de requérir contre Krimo une peine de deux années de prison ferme, même en l’absence du seul témoin de cette affaire de « diffamation contre prophète déjà mort depuis des siècles ». La semaine dernière, le juge a pris soins de faire plus : le « renégat » a été condamné à une peine de 5 années de prison ferme assortie d’une amende de 200.000 dinars (2.000 euros). Selon le Président de l’Eglise des protestants algériens, « lors de l’un des procès, le juge est allé très loin dans la dérive ». Face à l’inculpé qui lui expliquait sa nouvelle foi et les raisons de sa conversion, le juge de répondre « je te fais le serment que tu vas le regretter ». D’autres témoins parlent de verdict pour hérésie. Le mot « Ridda » aurait été employé à plusieurs reprises. Dans la loi musulmane, la Ridda, l’hérésie ou apostasie, est punie par la peine de mort, enfin autrefois...
Que dire de l’article 142-Bis 2 ?
C’est le fameux article du code pénal algérien qui sert à condamner les Algériens qui n’observent pas le jeûne, les Algériens qui se convertissent à une autre religion, surtout celle des occidentaux (aucun Algérien n’a été condamné pour son choix de se faire bouddhiste par exemple) ou les Algériens que l’on veut condamner pour possession d’un évangile, d’un ancien testament ou d’une bouteille d’eau pendant la période du ramadan. Que dit cet article ? Des peines de 3 à 5 ans de prison sont prévues pour quiconque « offensera le prophète et dénigrera les dogmes de l’islam par la voie de l’écriture, du dessin, de déclarations et de tout autre moyen ». Le délit étant flou, liberté est donc laissée aux juges pour interpréter selon leurs convictions, leur foi, leur raison ou leurs sentiments, la fameuse loi et le fameux délit de déni.Cela conduira à installer un mode d’action : on attrape l’inculpé, on l’accuse d’offense, on détruit sa vie sociale et professionnelle dans un environnement confessionnel à souhait, puis on le condamne à de la prison en première instance. S’en suit une mobilisation de la société civile et de la presse et l’inculpé est relâché et relaxé en second verdict. Ceci dans le meilleur des cas et selon les géographies. En Kabylie, la mobilisation paye pour cause de société civile forte. Ailleurs, l’inculpé peut finir entre quatre murs pour longtemps. C’est ce que payera Bouchouta Fares, 27 ans, d’Oum Bouaghi (500 km sud-est d’Alger), condamné à deux ans de prison ferme et de 100.000 dinars (1.000 euros environ) d’amende pour n’avoir pas jeûné fin août 2010 même si le chef d’accusation à été modifié sous pression pour devenir : destruction de biens. Le « bien » en question était une vitre cassée lors de l’interrogatoire de l’inculpé, dans une brigade de gendarmerie.En Kabylie, deux chrétiens non jeûneurs avaient été relaxés le 5 octobre à Ain el Hammam dans l’est algérien, le juge ayant expliqué qu’aucun article de loi ne prévoit de poursuite pour non respect du jeûne durant le ramadan !
Qui sont les autres ?La liste des victimes du 142-bis 2 est longue. Arrêtées à la mi-septembre, six personnes ont été condamnées à 4 ans de prison ferme et mille euros d’amende par le Tribunal de Biskra dans le Sud de l’Algérie le 29 septembre 2008. Les six Algériens étaient accusés d’avoir mangé avant la fin du jeune du Ramadan. Après les mobilisations, ils seront relâchés et… oubliés. C’est pourtant là que le calvaire commence : ils raconteront un jour à un journaliste, ce qui suivra : la perte du travail, les insultes des voisins, les moqueries des gamins dans les rues… etc. et même l’impossibilité de se marier pour l’un des relaxés qui perdra sa fiancée. La liste des autres cas est tout aussi longue : des ouvriers arrêtés à Alger pour une cigarette pendant le ramadan, dix autres « dé-jeuneurs » arrêtés pendant le ramadan de septembre 2010 à Bougie, en Kabylie, relâchés ensuite à l’exception du propriétaire du restaurant qui leur avait ouvert ses portes…
Qui est l’auteur de l’ordonnance du 28 février 2006 ?
On ne sait pas. Le ministre de la Justice algérien peut-être, Tayeb Belaïz. L’ordonnance prévoit des règles sévères pour l’exercice des cultes non musulmans et leurs relations avec les musulmans. Autorisations, bureaucratisations, surveillances policières et restrictions sont les maîtres-mots de la nouvelle loi. Les religions autres que l’islam sont sous autorité d’une commission nationale des cultes, annexe du ministère chargé des Affaires religieuses et avec pour mission de « donner un avis préalable à l’agrément des associations à caractère religieux ».
Extraits : L’ordonnance prévoit une peine d’emprisonnement de un à trois ans et une amende de 250.000 à 500.000 dinars (de 2.400 à 4.800 euros) pour les personnes qui tentent d’inciter une partie des citoyens « à résister aux décisions de l’autorité publique », les peines étant aggravées s’il s’agit d’un homme de culte. Les peines sont encore de 2 à 5 ans de prison et de 500.000 à 1 million de dinars d’amende pour quiconque « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ». La massue est valable pour toute personne qui « fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi d’un musulman ». Les Eglises ou monastères ou autres temples ne peuvent pas collecter de l’argent ou recevoir des dons sans autorisations sous peine d’emprisonnement de un à trois ans et amende de 100.000 à 300.000 dinars.
Dans les faits, l’ordonnance s’est traduite par une restriction des visas pour le clergé, un harcèlement policier contre les convertis et une perte pour l’Algérie de sa diversité cultuelle au profit d’un islamisme populaire de base.
Qui sont les victimes ?
Presque tous. Le 29 mars 2008, Habiba K., 36 ans, native de Tiaret (340 km) est arrêtée par les gendarmes au retour d’un voyage à Oran où elle étudiait au Centre d’études bibliques de la région. Inculpée, elle sera, lors de sa comparution sommée par le procureur de choisir entre « la mosquée ou le tribunal ». Son procès sera long et cyclique. Le 20 mai 2008, le ministère public avait requis 3 ans de prison ferme contre la jeune fille. Le 27 mai 2008, le tribunal correctionnel ordonnera un « complément d’information » pour gagner du temps face aux pressions.
En même temps que le procès de Habiba K, cette année 2008, se déroulait celui de six autres Algériens de la même ville de Tiaret, jugées pour « distribution de documents afin d’ébranler la foi des musulmans » et qui seront condamnés sévèrement : quatre des six accusés ont été condamnés à des peines de prison avec sursis et à de fortes amendes. Lors du jugement au tribunal de la même ville, le procureur de la République avait requis 2 ans de prison ferme et 500.000 dinars d’amende contre les six accusés. Selon Mustapha Krim, « ils sont nombreux depuis cinq ans à tomber sous les coups de cette ordonnance. Une dizaine d’affaires depuis 3 ans. Le 10 novembre 2011, cinq personnes doivent être jugées à Tarf (à l’est, ville frontalière avec la Tunisie) pour les mêmes chefs d’inculpation. On doit les aider mais j’attend d’être informé un peu plus »
Qui est Mustapha Krim ?
« Je suis le président de l’Eglise protestante algérienne » nous expliquera-t-il au téléphone. Le « père » d’une Eglise de plus en plus persécutée. « Nous essayons d’aider nos frères, de mobiliser des dons pour payer l’avocat et financer l’assistance judiciaire, de médiatiser pour créer l’effet de solidarité ». Le pasteur est très présent médiatiquement en Algérie, et multiplie les sorties pour parler d’une Eglise protestante en plein état de siège.
« Cette situation, nous les catholiques algériens nous en faisons les frais, en silence alors que le catholicisme est algérien, depuis des siècles et n’est pas une annexe du Vatican en Algérie » nous a confié, il y a quelques temps, l’un des pères de l’Eglise en l’Algérie.Pour l’affaire Krimo, on est plus qu’étonné : « il n’y a jamais eu d’insulte contre le Prophète de l’islam et la seule personne témoin de cette scène supposée, lui-même auteur de la plainte, ne s’est jamais présentée au tribunal » rappelle le pasteur Krim. Cela n’a pas empêché le juge de se proclamer inquisiteur. Du moins en attendant le verdict en appel pour le 17 novembre.
Source: slateafrique