Comme d’habitude, la poétesse projette inconsciemment et spontanément son intérieur sur un espace externe réel et se met à le décrire comme si elle lisait dans un livre tant la concordance entre l’ontique et l’ontologique est totale. Mais si cet état chez l’homme commun est indubitablement clinique puisqu’il n’est observable que chez les individus atteints de psychoses paranoïaque ou schizophrénique , il est par contre chez certains vrais artistes poètes ou autres une source de créativité qui leur permet d’y puiser une multitude d’écarts surprenants et peut donc être considéré comme une faculté ou une compétence .
Cependant, ce qui attire tout particulièrement l’attention dans ce texte est que le paysage décrit comporte une grande partie plongée dans le noir et quelques points lumineux. Et ces derniers ne sont pas reçus par la locutrice comme des replis pleins d’espoir, comme le notent Leibnitz et Gilles Deleuze, pour quitter le gouffre ténébreux mais en tant qu’éléments négatifs eux aussi nuisibles pour son psychisme. Et elle le dit expressément : Les points lumineux de phosphore qui ponctuent, tels des planètes tragiquement froides, solitaires...Ils me font penser à des comètes figées, des astres de givre à l'immobilité cruelle. Ce qui montre qu’il ne s’agit pas ici d’un acte compensatoire mais plutôt d’un plongeon dans le passé lointain et plus précisément dans le canal utérin de la mère, lieu où le futur nouveau né peut être pris de panique si les pressions qui s’exercent sur lui sont trop fortes. En tout cas, quel que soit la vraie nature de cet état psychique ou psychanalytique, le plus important est qu’il a porté ses fruits sur le plan du style avec cette série d’images déroutantes et ce rythme saccadé très plaisant .
Mohamed Salah BEN AMOR
Quais de gare la nuit, dans leur lueur soufrée. Leur vide lisse et noir de membrane huileuse.
Obscurité glacée, trouée de blancs halos.
Luisance sourde des faisceaux de lignes parallèles : lignes de béton, lignes de rails, lignes de hauts câbles obscurs...silhouettes allongées des auvents, des abris...Toutes ces lignes prisonnières de la même ligne de fuite !
Les points lumineux de phosphore qui ponctuent, tels des planètes tragiquement froides, solitaires...Ils me font penser à des comètes figées, des astres de givre à l'immobilité cruelle.
La banlieue s'égrène en un long, souple glissement...un immense désert ferroviaire en dérive...
Que faire, sinon scruter encore, encore, toujours ce magnétisme inaccessible, nu qu'on traverse ?
Et laisser les néons rectilignes qui diffusent leur éclairage mat, anémique dans le wagon prendre en étau vos mâchoires devenues trop pesantes...
Patricia Laranco
Photo: P.Laranco.