Les islamistes sont économiquement libéraux, même si beaucoup d’Occidentaux en doutent. L’économiste péruvien Hernando de Soto vient de publier, dans le Financial Times, un article (The free market secret of the Arab revolution) qui rejoint le point de vue développé ci-dessous.
Par Yves Montenay
Un article publié en collaboration avec l’Institut Turgot.
Dans un précédent article, j’avais signalé comment nous avions largement alimenté l’implantation des islamistes, qui se définissent donc largement comme opposés à l’Occident. Mais, à mon avis, ça ne devrait pas jouer dans le domaine économique.
Pour commencer, les islamistes se veulent économiquement libéraux, « car le Prophète était commerçant ». Mais les Occidentaux sont sceptiques pour deux raisons :
– Certains estiment que les textes de base (le Coran et les Hadiths) interdisent toute initiative, telle la recherche de l’innovation (ce qui est illustré par la réflexion souvent entendue : « l’islam signifie soumission à Dieu, attitude qui mène au fatalisme et non à l’économie moderne »).
– Les États musulmans sont sous-développés.
Les exégètes musulmans s’intéressant aux questions économiques soutiennent au contraire que les textes se prêtent à l’entrepreneuriat et au capitalisme moderne par leur insistance sur le caractère fondamental de la propriété privée, et en donnant une connotation religieuse positive à la réussite économique et sociale, un peu de manière analogue au calvinisme.
Je ne vais pas entrer dans ce débat théologique, développé et argumenté dans deux articles récents [1], car, comme il est également dit dans ces deux articles, les hommes ne sont pas déterminés par les textes, mais au contraire y trouvent une justification à des actions totalement opposées, d’une personne à l’autre.
C’est ainsi que la Bible et les Évangiles ont généré aussi bien l’interdiction du prêt à intérêt (comme dans l’islam), que Savonarole, Saint-François-d’Assise ou les entrepreneurs puritains et les banquiers protestants. Bref, les textes ne préjugent en rien de l’attitude concrète. Même la « finance islamique » offre des solutions aux problèmes qu’elle pose apparemment, et qui ressemblent d’ailleurs à celles qu’on avait trouvées jadis en Occident, telle la commandite.
Le fait que les États musulmans soient sous-développés paraît à première vue plus pertinent. Mais l’examen montre que c’est le despotisme plus que la religion qui en est la cause, notamment du fait de la prédation et de l’insécurité pour les entrepreneurs qui peuvent se voir retirer leur œuvre à tout moment et sans justification.
C’était le cas dans l’Empire ottoman, le plus moderne des États musulmans pendant quelques siècles ; c’était encore assez souvent le cas dans la Tunisie de Ben Ali. Et dans beaucoup de pays s’y est ajoutée une période socialiste qui n’a rien arrangé !
Mais cela ne vient pas de l’islam puisque le développement de nombreux États non musulmans a été paralysé pour les mêmes raisons. Pensons aux États catholiques ou protestants d’Afrique ; et c’était analogue il y a peu en Asie orientale et en Amérique latine.
Bref, ce qui va importer pour les relations économiques avec l’Occident, ce sera de sortir du despotisme et de l’arbitraire, et que les interlocuteurs soient ouverts au libéralisme économique et notamment au respect de la propriété privée. Cela devrait être le cas, quels que soient par ailleurs les inconvénients pour les peuples des pays concernés si les islamistes ne respectaient pas leurs engagements de respect de la démocratie et de tolérance de toutes les opinions.
Si j’étais Tunisien, c’est la visée des islamistes sur le ministère de l’Éducation nationale qui m’inquiéterait, et non leurs idées économiques. Sur ce plan, l’intensité des liens personnels, commerciaux, financiers, linguistiques et intellectuels entre la France et la Tunisie ne peut que trouver de nouvelles applications au bénéfice de tous dans le cadre du nouveau gouvernement.
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Sur le web
Note :
[1] Dialogue sur Islam et Liberté, Le Coran et les musulmans, quelle lecture retenir ?
L’original de cet article a été publié sur le site le Cercle Les Échos en date du 27 octobre 2011.