Sorti faire ma promenade matinale. L’automne est bien là, ciel gris et humidité dans l’air, températures légèrement fléchissantes, ce n’est pas le moment de cafarder car le printemps est bien trop loin pour se laisser aller à la déprime saisonnière.
Le nez au vent je sillonne la ville, les mains dans les poches et l’esprit dégagé de toutes contraintes ou obligations. J’ai mes rues préférées, les plus petites et les plus proches de l’esprit province, je me régale des jardins et pavillons, admirant telle construction ou déplorant l’état de telle autre. Tiens ! Celui-ci agrandit sa maison, il faudra que je repasse régulièrement pour voir le résultat final, celui-là vend son terrain, quel type de construction va s’y implanter ? Le paysage urbain est en renouvellement permanent, j’ai tout mon temps, je suis les chantiers de l’œil détaché du promeneur qui s’intéresse à sa ville.
J’emprunte cette petite rue où les cheminées fument, une bonne odeur de bois brûlé dans l’âtre se répand alentour, une odeur que j’associe toujours au bonheur douillet sans raison logique évidente, si ce n’est que des images de feux de bois dans la cheminée me ramènent aux livres illustrés du temps où j’étais petit gamin. L’importance de nos souvenirs d’enfant est de plus en plus évidente à mesure qu’on s’enfonce dans l’âge.
Dans le parc c’est l’odeur forte de la terre humide, des feuilles tombées à regret des arbres et de la végétation pourrissante. Ca sent la nature et c’est bon. Un parfum de mort puisqu’un cycle s’achève avec la mauvaise saison, « tu es poussière, tu retourneras poussière », mais un parfum vivifiant aussi, remontant du plus profond de nous. A cette heure je m’en remplis les poumons, fragrances naturelles, source de la vie.
Même en ayant étudié mon parcours pour ne rencontrer qu’effluves agréables, il est difficile de ne pas subir la puanteur des gaz d’échappement du camion venant livrer le supermarché à côté de chez moi. Le monde parfait n’existe pas d’une part, et de l’autre, ce sont ces émanations désagréables qui mettent le mieux en valeur les arômes exquis, par ce singulier paradoxe qui veut qu’on prenne mieux conscience d’une chose qu’après avoir été confronté à son contraire.
Il est temps de rentrer de ma courte balade. Dans le hall d’entrée de l’immeuble je suis accueilli par le fumet d’une soupe de légumes, certainement les deux petits vieux du premier qui préparent leur repas. Plus haut dans les étages, là où logent marmots et parents attentionnés, une odeur sucrée de gâteaux se glisse sur le palier. Je commence à saliver, mon nez a prévenu mon cerveau qu’on allait bientôt se mettre à table, lequel a fait suivre l’information à mon estomac qui répond en frétillant.
J’entre chez moi, un parfum chaud de cosmétiques me prévient, ma femme vient de se laver les cheveux, ça embaume dans tout l’appartement comme dans un salon de coiffure. Un compliment rapide pour ne pas paraître mufle et je pose la question qui me brûle les lèvres, « Qu’est-ce qu’on mange à midi ? »