Les quatrièmes de couverture recèlent d’étranges pépites. Prenons par exemple celle de l’édition de poche de l’excellent Electrons Libres de James Flint, sur laquelle ont peu lire un petit florilège des critiques parues à la sortie de bouquin.
J’en cite une ici qui vaut sont pensant de noix de cajou. Je me suis resservi un verre de génépi pour vérifier que je n’avais pas la berlue.
Brassant l’énergie intellectuelle, Electrons Libres, son dernier opus, confirme le britannique James Flint en challenger de Michel Houellebecq.
Julian Evans, Livres
Soyons honnêtes, à vrai dire, au premier abord on peut déceler quelques petits points de convergence entre les deux écrivains, sans avoir pour autant avoir à couper les cheveux en quatre.
Certes, tous deux sont de fins observateurs de la réalité du monde contemporain, marqué par un certain entrain critique. Ils tentent aussi tous les deux de replacer la science au cœur de la fiction : le clonage pour Houllebecq et ici la technologie nucléaire pour James Flint.
Et encore, pour le premier point, je n’en suis pas si sur que cela, mais il me fallait au moins deux points de supposée convergence pour créer un argument et ensuite dérouler ma contre argumentation.
Ne nous arrêtons donc pas là.
Là où en guise de narrateurs Houellebecq nous impose des hommes revenus de tout, obsédés par la fesse molle (bien que cela soit moins vrai pour le narrateur des Particules, mais ne chipotons pas trop), qui vomissent le monde contemporain, et qui essaient de trouver dans la technologie la manière dont l’espèce humaine pourra survivre en abandonnant tous ses attributs d’humanité, pour justement, la faire accéder à la vie éternelle, la démarche de Flint est tout autre, et à ce titre, bien plus intéressante est stimulante.
Le narrateur d’Electrons Libres, Cooper James, est une sorte de trentenaire pas encore tout à fait sorti de la phase d’émerveillement au monde que constitue l’adolescence (ironie), inadapté social, travaillant pour la défense britannique, plus précisément dans le secteur de la défense nucléaire. Il reçoit un jour les cendres de son père dans un thermos à café, père qu’il n’a pas vu depuis plus de vingt ans. Cet évènement inopiné engage la poursuite de cette figure du père qui a tant manqué à notre narrateur, poursuite qui le mènera à traverser les Etats-Unis, à la poursuite de l’Atome, en tant de reconstituer le parcours d’artiste de son père, sculpteur, obsédé par la matière et le nucléaire, en en étant un des ses farouches opposants jusqu’à s’y transfigurer et la transformer en essence artistique.
On le devine assez bien, cette quête mènera le narrateur à se découvrir en même temps qu’à découvrir son père, personnages aux milles facettes, dont les étapes contradictoires de la vie sont autant de morceaux brisés d’un même tableau qu’il s’agit de reconstituer (oui je saisen ce moment j’aime beaucoup la thématique des images brisées et de ce quelles nous enseignent, si jamais cela peut avoir un sens pour quelqu’un d’autre que moi), jusqu’à déclencher un aveu final, que je ne veux pas gâcher, mais qui met toute ette quête en perspective, jusque dans ses fondements et sa motivation.
Pour revenir à mon argumentaire principal, soit la différence fondamentale avec Houellebcq, qui me fait renâcler à accepter de plein gré la posture du critique susmentionné, est justement cette posture du narrateur face au monde.
Cooper James, narrateur d’Electrons Libres, est une sorte de Candide bêta (pléonasme), qui essaie de donner un sens à ce monde qu’il ne maîtrise pas, tout piégé qu’il est dans les strates de son adulescence tardive, prisonnier entre une figure de mère hippie défoncée et omniprésente, et la figure d’un père évasif qu’il ne comprendra pas. Le narrateur standard de Houellebcq est plutôt un anti-Candide standard qui ne vise pas à réenchanter le monde en essayant de le découvrir, mais une entité qui en a ôté le voile et qui le foule aux pieds.
Flint et Houellebecq ne jouent pas dans la même cour, leurs romans n’ont aucune visée commune, même si à leur manière ils peuvent être représentatifs d’une certaine forme de perception du monde, avant tout critique. Les deux perspectives sont à voir comme des chemins inversés. La prise d’une distance critique pour le narrateur de Flint, qui découvre son père au travers de ses productions artistiques, des traces qu’il a pu laisser, de l’impression, proprement photographique qu’il a laissé sur les personnes qu’il a rencontrées. Un éloignement de sa propre personne équivalent à une découverte du monde et des secrets de la matière.
L’inverse chez Houellebecq où c’est une forme d’hyperdistanciation critique au monde qui sert de point de départ à la narration, et c’est dans le sexe et la jouissance du corps que cette distance tente d’être annihilée, mais en vain. (le tout doublé d’une vision glauque et pessimiste de la réalité, voire morbide, dimension de critique sociale absente du romande Flint, ou alors présente sous la forme de neutrons çà et là…). Le recours à la science participe aussi de cette abolition de cette distance au monde chez Houllebecq.
Sur la science.
Point de scientisme ni de positivisme éclairé tant chez Flint que chez Houllebecq, ne nous méprenons pas au sujet de cet intérêt marqué. Celle-ci est présente chez les deux romanciers comme un levier narratif. Cela est particulièrement prégnant chez Houellebecq dans Les Particules Elémentaires et La Possibilité d’une île. L’intérêt pour la science est ce qui est constitutif pour l’auteur d’une littérature du XXIe siècle. Mais là aussi, sa posture est radicalement inverse (pléonasme) de celle de Flint. Cette science est là pour en finir avec l’espèce humaine. La clé de son immortalité se trouve précisément dans tout ce qui fait son humanité c'est-à-dire sa capacité à mourir et à saisir cette mort, tant au niveau physiologique que littéraire ou philosophique. Une fois débarrassé de la mort, par le clonage nous dit Houellebecq, par l’autoréplication, l’homme peut accéder à la vie éternelle, en demeurant à tout jamais un esprit pur dans un corps qui n’a d’existence réelle que le nom. La mort disparue, la conscience de la perte, de ses propres limites disparaît. La Science, en quelque sorte, mais là c’est moi qui extrapole, intervient comme le moment où l’humanité à réalisée qu’elle était morte depuis longtemps, mais qu’elle pouvait continuer à exister, ou prétendre de continuer à exister. Il ne s’agit pas d’une tentative de résurrection de l’humanité pour lui faire accéder au statut d’éternité, mais bien une tentative de stabilisation de l’humanité qui ne peut plus avoir d’autre conscience autre que la sienne, tout contact avec d’autres étant voués à l’échec, même si ce contact peut être effectif. La disparition de la mort, c’est la fin de tout affect.
Chez Flint, c’est la mort du père qui réveille l’humanité, qui met en branle le Cooper. Sa quête s’accompagne d’une découverte de l’art de son père, couplé à une compréhension intime et progressive de la science, ici du nucléaire, de la matière dans ce qu’elle a de plus intime, si jamais cet adjectif puisse convenir. La science n’a pas une part aussi importante en tant que telle, elle sert de contrepoint à l’ « indistance » du narrateur face au monde qui en découvrant les secrets de la matière, peut créer sa propre distance au monde. La science est ici le moyen de l'humanité, aussi figuratif cela puisse-t-il paraître dans le roman.
Au fil des interlocuteurs rencontrés, Cooper en apprend plus sur le nucléaire, la signification qu’il porte que sur son père lui-même sont ils ont tous une opinion contradictoire, n’ayant pu en percevoir qu’une facette. Le trajet américain du narrateur est une tentative de saisir la réalité entière de son père, en reconstituant sa vie, c'est-à-dire en explorant sa passion pour les sciences et son intérêt pour l’atome. Le narrateur, à l’image de la photographie qui clôt le roman et qui représente un gros rectangle de granit surmonté d’une tête d’équidé à son sommet, est lui-même ce bloc de granit (oui je sais ce n’est pas nécessairement de la grande interprétation de la ma part) brut, encore à tailler et dont il faut saisir toutes les aspérités avant de commencer à le travailler. Ce chemin à la découverte de son père est création, bien entendu.
Je ne comprends pas pourquoi l’un challenge l’autre.
Mais ce qui est sur, c'est qu'on va se jeter sur les autres Flint...