Il est vraiment temps que j’écrive un guide du savoir vivre dans les salles de cinéma et que j’aille le placarder sur tous les murs cinéphiles de Paris. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un spectateur mette mes nerfs à l’épreuve pendant une projection, et à chaque fois je découvre un nouveau comportement qui me donne envie de faire comme Rainn Wilson dans Super, d’attraper une clé anglaise et de la balancer à la tronche du malotru.
Le dernier épisode en date de souffrance spectatrice a eu pour décor le MK2 Beaubourg où j’ai passé mon après-midi du 11 novembre pour enchaîner deux films, Bonsai et Michael. Le premier, une comédie chilienne dosant à merveille la cocasserie et la mélancolie au cours d’un récit en deux temps, s’est déroulé sans accroc pour mon plus grand plaisir. Un film lumineux, sur la brèche du drame sans jamais vraiment y basculer, qui ne joue que dans deux salles à Paris, d’où ma présence au cinéma bordant le Centre Pompidou. Celui-ci offrant deux salles que j’abhorre parfaitement, je l’évite autant que faire se peut, histoire de ne pas me retrouver dedans (les salles 3 et 6 pour ceux qui connaissent, cette dernière ayant abrité ma projection somnolente d’Oncle Boonmee), mais n’ayant pas le choix pour Bonsai, je m’y suis finalement rendu.
Voyant que Michael était programmé dans une salle acceptable du cinéma, j’en profitai donc pour enchaîner avec le film autrichien ayant glacé le Festival de Cannes en mai dernier, où il était en compétition pour la Palme d’Or. C’est là que les choses se sont gâtées. La séance de 15h30 affichait presque complet, à deux ou trois places près. Le responsable de ma misère spectatrice s’est pointé deux ou trois minutes avant que le film commence. Il est venu s’installer exactement à ma gauche, l’un des derniers fauteuils libres de la salle. Grand gaillard baraqué, il s’est installé en jetant rapidement un œil à son Canard Enchaîné avant que le film commence. Jusqu’ici rien d’anormal ni de gênant. Il avait peut-être les coudées larges, mais ça j’ai l’habitude, ça ne me gêne plus depuis longtemps.
C’est alors que le film était commencé depuis une dizaine de minutes que j’ai commencé à m’agacer d’un bruit qui venait de ma gauche. Un mâchouillement très prononcé. J’ai commencé par croire que mon voisin mangeait un petit quelque chose, je ne m’en suis donc pas inquiété. Mais le bruit était lancinant, constant, et ne s’arrêtait pas. Un chewing-gum. Un petit chewing-gum de rien du tout. Un petit chewing-gum de rien du tout qui grondait dans sa bouche, inlassablement. On aurait qu’il avait avalé des Mini-pouces hurlant pour leur survie, mais lorsqu’il ouvrait de temps en temps son antre facial pour faire encore plus de bruit avec son mâchouillement, point de Mini-pouces tentant l’évasion pour rejoindre leur cachette derrière les murs. Juste un petit chewing-gum de rien du tout. Mais dans l’atmosphère glacée, souvent silencieuse de Michael, un bruit qui bourdonnait à mon oreille. Je me croyais revenu dans cette salle des Halles où un autre voisin jouait avec mes nerfs avec sa lanière de casque de moto.
Que faire ? Lui dire « Vous pourriez arrêtez de mâcher votre chewing-gum ? ». Ca va sonner très con à dire et il pourrait très bien me répondre qu’il a quand même le droit de mâcher un chewing-gum, ce qui n’est pas faux. Et de toute façon, j’ai horreur de parler pendant un film, même si c’est pour tenter d’améliorer les conditions de projection. Un regard noir dans sa direction, c’est mieux. Les regards noirs en disent long dans la nuit d’une salle de cinéma, l’énervement ressort encore mieux. Mais les regards noirs, ça marche mieux avec le rang de derrière. Là, à côté, difficile de croiser son regard. Peut-être que des mouvements de tête vers lui suffiront, il va les capter et comprendre qu’un de ses gestes m’énerve. Héééé mais, ça a l’air de marcher ! Quand le silence est plombant à l’écran, il arrête de mâcher ! Mais il reprend dès que le moindre bruit se fait entendre. Raté.
Tout ce qu’il me reste à faire, c’est de mettre au point un rempart défensif. Heureusement, j’avais mis mon gilet à capuche ce jour-là. J’attrape la capuche et la cale contre mon oreille gauche. Certes je perds l’audition de ce côté-là, mais au moins je n’ai plus ce bruit de mastication continue à l’oreille. Pendant un instant, mon voisin me fait espérer qu’il en a marre de mâcher, s’arrêtant cinq bonnes minutes… avant de reprendre finalement de plus belle. C’est peine perdue. Son chewing-gum est là pour rester et être mastiqué jusqu’à la dernière image du film. Devant la bourrasque visuelle et sonore de Tintin ou les robots boxeurs de Real Steel, je n’aurais probablement pas entendu ce bruit si anodin prenant des proportions monstres dans une salle silencieuse. J’aurais voulu lui dire « Merci pour le chewing-gum » une fois le film fini, mais ce mâcheur compulsif s’est éclipsé dès les premières secondes du générique de fin (faut-il s’en étonner ?), avant que j’aie eu le temps de reprendre mes esprits. Peut-être suis-je un peu trop maniaque au cinéma ?