Jamais égalé, l’imitateur Thierry Le Luron déclencha quelques appréciables
éclats de rire dans le paysage politique français au sein duquel il s’amusa furtivement, pendant une quinzaine d’années.
Dans un bonus du DVD, il y avait notamment un Thierry Le Luron interviewé qui expliquait (en 1982) qu’il
n’imitait pas Michel Rocard parce qu’il n’était pas beaucoup présent dans la scène politique. Michel
Rocard était pourtant à l’époque l’une des trois personnalités socialistes les plus populaires.
Laurent Delahousse a consacré un numéro de son émission "Un Jour, un destin", le 9 septembre 2011 sur France 2, aux derniers mois de l'artiste qui fut ceinture noire de judo.
Carrière fulgurante
Thierry Le Luron, un étoile filante de l’excellence de l’humour, né le 2 avril 1952 à Paris (à 4h45 du matin
dans une clinique du boulevard Arago dans le 13e) et mort le 13 novembre 1986 (à 7h du matin) à l’hôtel de Crillon, dans une chambre qui donnait sur la place de la Concorde, d’une grave maladie, il y a exactement vingt-cinq ans ce dimanche.
Malade pendant plus d’une année, avec des périodes de haut et de bas, quelques mois avant sa mort, il
expliquait qu’à l’hôpital, il avait eu, entre autres, Valéry Giscard d’Estaing qui s’inquiétait régulièrement
de son état de santé. À tel point que l’ancien Président a eu des difficultés pour l’avoir au téléphone car au standard, on croyait que c’était un plaisantin qui imitait sa voix.
Valéry Giscard d’Estaing lui avait beaucoup pardonné car l’imitateur avait beaucoup plombé sa campagne
électorale avec le fameux : « Bonjour Mes Diams, bonjour Messieurs » un an avant l’élection présidentielle.
Thierry Le Luron aurait maintenant 59 ans
On imagine aujourd’hui les ravages qu’aurait engendrés Thierry Le Luron avec ses excellentes imitations. De
la même génération que Nicolas Sarkozy, aussi rapide que ce dernier pour commencer sa vie (il commença
à 17 ans), Thierry Le Luron aurait pu saisir de nombreuses
occasions cocasses s’il n’était pas parti prématurément : les trois cohabitations, celle froide de Jacques
Chirac, celle obséquieuse d’Édouard Balladur et celle psychorigide de Lionel Jospin, la rivalité entre Édouard Balladur et Jacques Chirac, le désarçonnage de Michel Rocard en 1994,
d’Alain Juppé en 1997 puis en 2004, la catastrophe démocratique de 2002, la dislocation des centristes en 2007, la campagne
de Ségolène Royal, l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn et son corollaire, le sacre de François Hollande à l’autel de
la primaire, les querelles d’ambition au sein de la majorité…
Des hommes politiques triés sur le volet
Thierry Le Luron avait commencé dans l’imitation politique avec Jacques Chaban-Delmas, à l’époque Premier Ministre (dans l’émission "Télé Dimanche", au "Jeu de la chance" le 15
février 1970), et avait réussi avec un rare talent à imiter des personnalités qu’il affectionnait beaucoup : Gaston Defferre, incompréhensible dans sa prononciation, Edgar Faure, avec un
jovial cheveux sur la bouche, François Mitterrand, avec ce ton martial, hautain et quasi-messianique,
Georges Marchais, à la voix et au souffle à peine exagérés par rapport à la réalité, Raymond Barre, et ses "rondements" de ton, et enfin, Jacques Chirac, à l’époque jeune premier au visage guerrier,
"pyramidalisant" et "capitalisant" tout à son passage. Giscard, Chirac, Mitterrand, Marchais, c'était la "bande des quatre" tant décriée par Jean-Marie Le Pen, c'était la classe politique du
début des années 1980.
Parmi ses meilleures performances, il y a assurément l’interview de Le Luron imitant le Président
Giscard d’Estaing par le peu "assuré" Pierre Desproges le 15 mai 1977, puis, sous les gouvernements de la gauche, "Les fausses conférences de presse" de Thierry Le Luron en collaboration
explosive avec le génial Bernard Mabille.
Preuve que Thierry Le Luron était une personnalité politiquement ouverte, c’est qu’il n’avait jamais caché sa
proximité avec la droite française, affirmant qu’il était sûr que Jacques Chirac serait un jour Président de la République (huit ans et demi après sa mort !), alors que son condisciple
Bernard Mabille (64 ans aujourd'hui) est très à gauche (il vient de déclarer qu’il soutiendrait Jean-Luc
Mélenchon pour 2012).
Bernard Mabille, le complice de l'insolence et des bonnes blagues
Le "Journal du dimanche" a décrit comment Thierry Le Luron a rencontré Bernard
Mabille, l'auteur fétiche d'Anne Roumanoff.
Il a évoqué ainsi ce travail à deux : « On formait un couple. Je réfléchissais pour lui, comme lui. Thierry aurait pu être son propre auteur, mais il était une star. Il se couchait à six
heures du matin, se levait à midi, il était pété de thunes, il n’allait pas s’emm*rder à s’assoir à son bureau pour écrire. Mais il a refusé de me citer pendant cinq ans. J’en ai beaucoup
souffert, même si je gagnais très bien ma vie. Durant son triomphe au Gymnase, en 1984, j’ai dû le menacer pour obtenir gain de cause : “Si demain tu ne me cites pas, je repars avec mes textes.
Tu n’auras que deux choses à dire au public : bonjour et bonsoir !”. Le lendemain, il me présentait comme coauteur. ».
Provocateur, persifleur, Thierry Le Luron l’a été au moins deux fois de manière très redoutable.
Scandale chez Drucker
Une première fois le samedi 10 novembre 1984 où il fut, pour l’une des rares fois (après janvier 1983),
l’invité d’une émission de variété, celle de Michel Drucker, "Champs-Élysées". Il avait obtenu auprès de l’animateur vedette carte blanche et il l’utilisa à la fin en direct devant un public
composé en partie d’invités lillois de l’ancien Premier Ministre socialiste, Pierre Mauroy, à faire répéter par l’assistance une chanson de Gilbert Bécaud dont il avait réécrit les paroles en
martelant malicieusement : « L’emm*rdant, c’est la rose ! ». Il y prédisait déjà des problèmes avec les dépenses publiques : « La France est au goutte-à-goutte,
s'endettant coûte que coûte pour longtemps ; à ce rythme évidemment, c'est bientôt la banqueroute car c'est déjà la déroute. ». Un vrai message au locataire de l’Élysée après
l’échec estival du référendum sur le référendum : « Je dédie au Président cette chanson, ce poème en forme de requiem ! » et en
disant en aparté, vu l’adhésion de la salle : « ça remplace un référendum,
ça ! ».
Une parodie d’une chanson de Serge Lama l’avait auparavant conduit à chanter « Le Pen attention danger ! » pour prévenir
des dangers de l’extrême droite. L’année 1984 vit l’essor du FN aux européennes (du 17 juin 1984), la
première "Heure de Vérité" avec Jean-Marie Le Pen le 13 février 1984 (et le 22 février 1984, l’émission spéciale "Vive la
crise" avec Yves Montand). Après avoir rappelé quelques mauvais souvenirs : « Comme la gégène, ça me fait trembler. », Thierry Le Luron s’adressait directement au leader du FN : « Le Pen, je ne vois là que des êtres humains qui sont les Français de demain », pour réfuter sa position contre les immigrés : « Je ne veux pas de ta nation barbelée, souvenir attention
danger ! », tout en égratignant au passage le gouvernement socialiste : « La proportionnelle bientôt légalisée fera de toi
l’arbitre de l’Assemblée ; à ça, François Mitterrand n’est pas étranger. » [Le 16 mars 1986, Jean-Marie Le Pen arrive au Palais-Bourbon avec un bataillon de trente-six députés FN
grâce au scrutin proportionnel]. Le leader du FN a intenté un procès au chanteur impertinent pour ces
paroles graves.
Thierry Le Luron a aussi chanté une chanson de Jacques Brel en se moquant de Laurent Fabius, jeune nouveau Premier Ministre (37 ans), d’origine juive, avec presque un relent d’antisémitisme,
« Chez ces gens-là » (« Chez les Fafa »), pour pourfendre la gauche caviar (on ne parlait pas encore de bobo) : « Faut pas jouer les
pauvres quand on est plein de sous ! ». Histoire de fustiger la médiatisation de la 2 CV de Matignon pour faire modeste. Une chanson qui a été aussi reprise, entre autres, par le
chanteur Abd Al Malik.
Bien entendu, Thierry Le Luron fut ensuite interdit totalement de télévision.
Glandu
Mais qu’importe, puisque tous les soirs, dans un rythme fou, il hantait en toute indépendance le Théâtre du
Gymnase pendant plus d’un an (à partir du 16 novembre 1984 jusqu’en mars 1986), où il commentait très librement l’actualité politique après une revue
de presse très rigoureuse.
Son ami Coluche
L’autre provocation, qui touchait à l’homosexualité mais avait pour but de se moquer du mariage très médiatisé du journaliste Yves Mourousi (prévu le 28 septembre 1985 à Nîmes), c’était son mariage « pour le meilleur et
pour le rire » avec Coluche le 25 septembre 1985 à Montmartre (et repas au Fouquet's).
La disparition de Thierry Le Luron à 34 ans a d’autant plus touché les Français que l’autre membre de ce
couple invraisemblable et détonant, Coluche, s’en était lui aussi allé cinq mois avant, le 19 juin 1986, sur une route des Alpes-Maritimes.
Après une messe de funérailles à la Madeleine, celui qui avait un patronyme très adapté à son existence fut
enterré dans sa terre de Bretagne, à Ploumanac'h, tout près de Perros-Guirec. Son père était navigateur dans la marine marchande.
Pas sûr que ses héritiers actuels soient capables de l’égaler au sommet de son art. Il restera la
nostalgie des années 1970 et 1980, fastes en essor des médias.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 novembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin (archives INA) :
Premier passage télévisé de Thierry Le Luron, "Le Barbier de Séville" de
Rossini (4 janvier 1970).
Le Luron-VGE (27 juin 1974).
Entretien au coin du feu Desproges/Le Luron-VGE (15
mai 1977).
Débat Le Luron-Barre/Pierre Douglas-Marchais
(1er octobre 1977).
L’Emm*rdant, c’est la rose (10 novembre
1984).
Le Pen attention danger (10 novembre 1984).
Mariage
Coluche/Le Luron (25 septembre 1985).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/thierry-le-luron-l-emm-rdant-c-est-104060